Une science adaptée à la « réalité » francophone
Avant de se retirer de la vie professionnelle, Maryse Lassonde a œuvré à l’intégration de la science dans les divers processus de décisions politiques au Québec.
Spécialiste en neuropsychologie de l’enfant, professeure émérite au Département de psychologie de l’Université de Montréal, ancienne présidente et membre émérite de l’Acfas, directrice scientifique du Fonds de recherche du Québec – Nature et technologies (FRQNT) et jusqu’à tout récemment présidente du Conseil supérieur de l’éducation : voici quelques-uns des rôles qui ont meublé le parcours professionnel de Maryse Lassonde, scientifique québécoise de renom.
Son plus récent engagement en tant que présidente du Conseil supérieur de l’éducation l’a amenée à conseiller le gouvernement en matière de besoins en éducation et à favoriser un rapprochement entre la recherche scientifique et la politique.
Selon Mme Lassonde, l’approche de ce conseil scientifique repose sur la formulation de recommandations scientifiques « adaptées à la réalité du Québec ». À son avis, il est possible « d’obtenir » cette « réalité » à partir de consultations de terrain, mais aussi au travers des diverses instances qui « définissent » le Conseil.
Adjoindre science et politique
Les recommandations du Conseil, et par conséquent de sa présidente, ont été nombreuses pendant la pandémie. En décembre 2021, en pleine crise sanitaire, Mme Lassonde a contribué à l’élaboration d’un rapport sur les conséquences de la pandémie, document faisant état des impacts sur l’éducation au Québec, du niveau prématernelle au niveau universitaire, sans oublier le système d’éducation aux adultes et de la formation continue.
« Ce qu’on a pu voir au travers de nos analyse et nos recherches est que la pandémie n’a pas créé de nouveaux problèmes, mais a bien exacerbé d’anciens problèmes, que nous avions déjà identifiés depuis longtemps (six zones de vulnérabilité plus exactement) », explique-t-elle. C’est le cas, entre autres, des mesures mises en place en ce qui concerne la création et l’amélioration de programmes de soutien et d’accès à certains soins pour la santé mentale des étudiant.e.s.
« Ce qu’on a pu voir au travers de nos analyse et nos recherches est que la pandémie n’a pas créé de nouveaux problèmes, mais a bien exacerbé d’anciens problèmes, que nous avions déjà identifiés depuis longtemps. »
Les propositions de Mme Lassonde ont souvent dépassé les frontières du ministère de l’Enseignement supérieur au Québec. La science se rattachant à plusieurs domaines, ces suggestions ont aussi eu un impact sur les décisions d’autres instances et ministères de la province. « On peut donner nos avis à nos ministres (Éducation), mais aussi à d’autres ministères, comme ceux de l’Immigration, de la Francophonie et même du Travail ». Ces mêmes recommandations sont encore une fois colorées par la « réalité terrain », ajoute la professeure honoraire de l’Université de Montréal.
Mme Lassonde prend l’exemple d’un changement apporté à la suite de recommandations du Conseil supérieur de l’éducation en matière d’immigration au Québec. « Il y a plusieurs familles immigrantes, en particulier certaines femmes qui ont beaucoup de difficultés d’insertion. Ils ont eu récemment, pour une fois, accès à des cours de francisation à distance et ça c’est important. Très souvent, l’homme va aller se franciser et va commencer à travailler rapidement alors que la femme, elle, va attendre et va repousser tous ses projets professionnels et de francisation pour sécuriser sa famille qui vient d’arriver », explique-t-elle.
Un combat loin d’être terminé
Mme Lassonde a profité de l’occasion pour aborder la place de la femme dans les sciences au Québec. Selon elle, un immense travail est à faire. L’inégalité persiste au Québec et l’inclusion reste encore difficile. La neuropsychologue évoque un contexte compliqué pour les étudiantes, les professeures et les chercheuses, et ce, autant au niveau collégial qu’au niveau universitaire.
« J’entends souvent de la part de professeurs qu’il n’y a aucun problème compte tenu du fait que les filles sont en majorité au baccalauréat, ce que je déplore. Certes, les filles sont plus nombreuses au premier cycle mais après ça, à la maîtrise ou au doctorat, c’est tout l’inverse », fait valoir Mme Lassonde.
C’est l’effet dit du « pipeline » ou « plafond de verre » en français, explique-t-elle, un phénomène qui veut que les femmes soient limitées dans la progression hiérarchique et restent absentes du sommet de cette même hiérarchie. Et c’est le cas non seulement en sciences, mais dans un grand nombre de domaines professionnels.
Même chose pour les enseignants au niveau postsecondaire : « En ce qui concerne les corps professoraux, les femmes occupent le tiers des postes. Ça, c’est au Québec! Et ne me dites pas que ça n’arrive pas, ça fait 50 ans que je traîne dans le milieu universitaire. Ce n’est pas normal. Il y a un travail qui est en train de se faire mais on observe tout de même une montée assez inquiétante de gens qui se prononcent contre ces initiatives d’équité, d’égalité et d’inclusion », révèle la scientifique québécoise.
« J’entends souvent de la part de professeurs qu’il n’y a aucun problème compte tenu du fait que les filles sont en majorité au baccalauréat, ce que je déplore. Certes, les filles sont plus nombreuses au premier cycle mais après ça, à la maîtrise ou au doctorat, c’est tout l’inverse. »
Elle soulève aussi les difficultés que les chercheuses peuvent rencontrer pour obtenir certaines subventions. Entre 2012 et 2018, Mme Lassonde a occupé le poste de directrice scientifique FRQNT. Au cours de son mandat, elle a observé un décalage important entre les subventions octroyées aux hommes et celles octroyées aux femmes.
« J’ai regardé toutes les statistiques et je vois que ça ne bougeait pas depuis 20 ans. Les femmes recevaient seulement 20 % des subventions. Le pourcentage des plus grandes subventions comme celles, par exemple, dédiées aux infrastructures, était encore plus bas. Moins de 10 % des subventions étaient octroyées aux femmes. Ça commençait vraiment à m’inquiéter », souligne la membre émérite de l’Acfas.
Lors de son mandat en tant que directrice du Fonds, elle a donc contribué à la mise en place d’initiatives, et ce, conjointement avec le Conseil de recherches en sciences naturelles et génie. Le Congrès international sur le genre, davantage connu comme le « gender summit », était l’une de ces initiatives qui a pris forme à Montréal en 2017.
À la retraite depuis peu, Mme Lassonde reste toutefois impliquée pour les causes qui lui tiennent à cœur. L’ancienne professeure et présidente du Conseil supérieur de l’éducation est actuellement en pourparlers pour effectuer du bénévolat international en Afrique, entre autres en appui au Réseau des femmes : un projet qu’elle espère réaliser dans les mois qui viennent.
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