J’ai participé à un atelier d’improvisation pour scientifiques, et je vous le recommande

Tara Siebarth, rédactrice Web d’Affaires universitaires, a testé la capacité des jeux d’improvisation à délier la langue des communicateurs scientifiques lors de la CPSC.

26 novembre 2018
Speaker

Ce n’est pas tous les jours qu’une conférence suscite des réactions jusque dans la salle d’à côté. « Apparemment, nous faisons trop de bruit, a expliqué Nikki Berreth à son public lors de la Conférence sur les politiques scientifiques canadiennes. J’imagine que nous avons trop de plaisir. »

La plainte était justifiée : toutes les personnes présentes étaient debout, en groupes de 12, et s’agitaient frénétiquement en gloussant et en pointant le participant suivant avec la hanche, la main ou le coude. Malgré un thème sans équivoque, « l’improvisation au profit de la communication scientifique », certains participants ont été étonnés de devoir bouger autant. « Je ne m’attendais pas à cela quand j’ai lu la description », a avoué un participant.

Les organisateurs de la séance ont précisé que l’enseignement de techniques d’improvisation aux communicateurs scientifiques visait deux objectifs. « Nous voulons montrer qu’échouer n’est pas un problème et peut même être amusant. Nous voulons vous amener à vraiment vous écouter les uns les autres », a expliqué Alan Shapiro, qui animait la séance avec Mme Berreth.

M. Shapiro et MmeBerreth ont cofondé Science Slam Canada, une entreprise qui organise des activités inspirées du slam, où des scientifiques présentent leurs travaux de recherche à un groupe de non-initiés au moyen d’un court numéro. Ils étaient accompagnés des experts suivants : Maria Cortés Puch, responsable du programme des réseaux national et régionaux du Réseau des solutions de développement durable des Nations Unies et membre du groupe Improv Embassy d’Ottawa; Monica Granados, titulaire d’une bourse pour l’élaboration de politiques scientifiques de Mitacs et membre de l’équipe d’improvisation The Making-Box de Guelph, en Ontario; Jeff Dunn, directeur du programme d’études supérieures de l’école de médecine Cumming de l’Université de Calgary et fondateur d’un programme de formation en communication axé sur l’improvisation à l’intention des chercheurs (en collaboration avec l’association des Science Writers and Communicators of Canada et le théâtre Loose Moose); et Mitchell Beer, éditeur du site The Energy Mix, un recueil d’information sur les changements climatiques, l’énergie et les solutions de rechange au carbone, et membre des Darling Mob Bosses, une équipe d’improvisation d’Ottawa.

« Nous avons recours à l’improvisation, une forme d’expression jamais encore associée à la communication scientifique, pour nous aider à parler de science et à entrer en relation avec les gens des milieux de la recherche, de la communication scientifique et de l’élaboration des politiques, nous a expliqué M. Shapiro. Mais à quoi bon parler d’improvisation pendant 90 minutes? Nous allons plutôt en faire, et, que cela vous plaise ou non, vous comprendrez mieux ce qu’est l’improvisation. »

Après de brèves présentations, les experts ont divisé le public en groupes et ont aidé à animer les jeux. Le premier jeu, intitulé Shoop, visait à tolérer l’échec, et c’est d’ailleurs ce qui nous a valu les foudres de nos voisins. En position debout, nous avons formé un cercle, et chaque personne devait « transférer l’énergie » à son voisin en le pointant avec la hanche (shoop), bloquer l’énergie en levant les mains pour forcer l’instigateur du transfert à changer de direction (block), lever les bras pour envoyer l’énergie à une personne de l’autre côté du cercle (zoom) ou pointer la tête de son voisin avec le coude pour lui faire passer son tour et envoyer l’énergie à la personne suivante (bop). Avec tous ces gestes à mémoriser et à nommer en les faisant, il était facile de perdre le fil et d’oublier de joindre le bon mot à la bonne action.

« Les scientifiques ont l’habitude d’être extrêmement bien préparés », a affirmé un participant pendant l’activité, ce type d’exercice peut vraiment les sortir de leur zone de confort. (Je ne suis pas scientifique, mais j’étais terriblement anxieuse en attendant mon tour : je ne voulais pas avoir l’air stupide devant tous ces inconnus!)

Le deuxième jeu, qui visait à favoriser l’écoute active, consistait à raconter une histoire en groupe, mais en ne disant que trois mots à la fois. M. Beer a expliqué que l’histoire n’avait pas à se tenir, mais qu’il fallait reprendre à partir de ce qu’avait dit la personne précédente. « Rappelez-vous que personne n’est ici pour vous ridiculiser. Vos partenaires sont là pour vous aider. » Dans mon cercle, l’histoire a commencé assez simplement : il était question d’une personne qui assistait à une conférence. Mais les choses ont rapidement pris un tournant inattendu lorsqu’un renard bleu s’est mis à pourchasser un cerf-volant dans la forêt. L’exercice nous a quand même fait comprendre que tout le monde n’avait pas à proposer de revirement de situation aussi loufoque. Parfois, il suffit simplement de dire « est allé à » ou « s’est enfui de ».

Il s’agit d’un constat utile, lorsqu’on se retrouve dans une situation inattendue où il faut penser rapidement, que ce soit lors d’une rencontre individuelle ou d’une conférence. « Un des principaux objectifs est de cerner son public et de s’y adapter », a expliqué M. Dunn. Selon Mme Puch, la spontanéité associée à l’improvisation, ou la capacité à réagir à l’inattendu, est une compétence précieuse non seulement au travail, mais aussi dans la vie. « Vous devez apprendre à aimer l’idée de l’inconnu. », a-t-elle ajouté.

Pour le dernier jeu de la journée, axé sur l’opposition, les groupes ont été divisés en duos qui devaient tenir une conversation. Pendant la première partie de l’échange, toutes les réponses devaient être négatives (p. ex. lorsque j’ai demandé « Veux-tu aller prendre un café? », mon partenaire m’a répondu : « Je déteste le café ».) À l’étape suivante, il fallait reformuler cette réponse pour la rendre affirmative, tout en évoquant une certaine négativité (cette fois, mon partenaire a répondu comme suit à ma question : « Bien sûr, mais je viens d’entendre à la radio que le café cause le cancer du cerveau. »). Pour finir, nous devions fournir une réponse positive, selon la règle du « Oui, et » généralement acceptée en improvisation (dans ce cas-ci, mon partenaire m’a répondu « Oui! Je connais un endroit génial juste à côté. Et on pourra en profiter pour prendre une bouchée! »). L’objectif de ce jeu était d’apprendre à faire durer une conversation, malgré un interlocuteur peu loquace.

Tous les experts présents étaient heureux de nous faire part de leur expérience en improvisation. « Pendant mon doctorat à l’Université McGill, je cherchais un moyen de sortir du laboratoire et de penser à autre chose qu’aux équations », a raconté Mme Granados. C’est ainsi qu’elle s’est rendue au Théâtre Impro Montréal, où elle pensait trouver un nouveau loisir. Elle en a trouvé un, mais elle a aussi constaté qu’elle avait amélioré ses présentations scientifiques et qu’elle était moins angoissée devant un public. « C’est cet effet positif sur mes communications qui m’amène ici aujourd’hui, car je veux que vous sachiez à quel point l’improvisation peut avoir une influence bénéfique sur vous. »

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