L’engagement des doctorants brise l’image de tour d’ivoire des universités

Les doctorants de la nouvelle génération mènent leurs travaux aussi bien dans le milieu universitaire qu’à l’extérieur de celui-ci.

10 janvier 2018
Wooden bricks

Les universités cherchent depuis longtemps à s’ouvrir et à se défaire de leur réputation de tours d’ivoire. Des expressions comme « application des connaissances » et « diffusion du savoir » reviennent fréquemment sur leurs sites Web et dans leurs demandes de subventions, tout comme dans les discussions sur l’enseignement supérieur.

Les doctorants de la nouvelle génération vont toutefois plus loin en remettant en cause l’idée selon laquelle le savoir et l’expertise sont avant tout issus des universités, pour être ensuite diffusés. Ces étudiants mènent en effet leurs travaux aussi bien dans le milieu universitaire qu’à l’extérieur de celui-ci. Ils témoignent ainsi de la porosité des frontières du milieu universitaire, qui permet à l’expérience, à la pratique professionnelle et à la recherche de s’inspirer et de s’enrichir mutuellement.

Les projets de recherche de Bailey Gerrits et d’Ashley Whillans illustrent ce qui précède. Mme Gerrits est chercheuse à la Fondation Pierre-Elliott-Trudeau et candidate au doctorat en science politique à l’Université Queen’s. Mme Whillans a récemment été nommée professeure adjointe à la Harvard Business School après avoir été, en 2015, membre de la première cohorte de l’initiative Public Scholars à l’Université de la Colombie-Britannique. Au Congrès de 2017 de la Fédération des sciences humaines, qui avait lieu à l’Université Ryerson, Mmes Gerrits et Whillans ont discuté de leur expérience de doctorantes lors d’une table ronde organisée conjointement par la Fondation Trudeau et par l’initiative Public Scholars.

Les travaux de recherche de Mme Gerrits portent principalement sur la couverture médiatique de la violence familiale au Canada. Ils la conduisent à travailler avec des survivants, des praticiens, des militants et des groupes de promotion d’intérêts. Ces groupes ont déjà cerné nombre de problèmes à résoudre, mais ne sont pas toujours en mesure de structurer leurs recherches et de les pousser plus loin.

En tant que doctorante, Mme Gerrits dispose de la légitimité et de l’accès aux ressources conférés par le statut d’universitaire. Elle peut ainsi faire office de passerelle pour ces groupes, relayer leur savoir et les aider à mener des recherches plus rigoureuses fondées sur des données probantes. Elle se concentre sur la parole des femmes, des communautés vulnérables et des experts sur le terrain, dont elle peut ensuite transmettre le savoir dans les cercles universitaires, dans des textes et en classe. Le fait d’être une chercheuse engagée et socialement responsable confère un sens et une pertinence sociale à ses travaux. D’après Mme Gerrits, c’est en forgeant de tels liens qu’on peut susciter le changement.

L’engagement de Mme Whillans passe par une démarche intersectorielle. Psychosociologue passionnée de recherche sur le mieux-être et le bonheur, elle n’est pas du genre à baisser les bras devant un refus. Figure connue au sein des cercles gouvernementaux locaux, elle a cofondé la division des sciences comportementales de l’Agence des services publics de la Colombie-Britannique.

Dans le cadre de ses études doctorales, Mme Whillans a notamment travaillé avec des groupes communautaires, conseillé diverses organisations et agi comme experte auprès de l’équipe des sciences sociales et du comportement (SBST) mise sur pied par le gouvernement des États-Unis. Elle affirme que le fait de travailler au sein du gouvernement a fait d’elle une meilleure chercheuse, l’amenant à s’interroger sur le fonctionnement de la science et à réfléchir davantage aux particularités contextuelles. « Ça m’a conduite à réfléchir plus à fond aux questions relatives à la recherche », souligne-t-elle. Déterminée à poursuivre ses travaux de recherche en tant que professeure, elle entend consacrer beaucoup de temps à échanger avec des organismes à but non lucratif, des entreprises et des organisations gouvernementales, hors du milieu universitaire.

Audacieuses et enthousiastes, Mmes Gerrits et Whillans n’ignorent pas pour autant les risques que pose leur engagement dans le cadre de leur doctorat. Elles sont conscientes des obstacles et des défis qui jalonnent leur parcours. Elles sont également conscientes de leurs positions privilégiées en tant que doctorantes bénéficiaires de bourses prestigieuses, des déséquilibres que cela entraîne et du risque d’épuisement associé à un engagement excessif. Elles ne sont nullement insensibles aux pressions et aux attentes liées à une culture universitaire qui continue à privilégier, dans une certaine mesure, la publication des résultats de recherche sur des supports traditionnels.

Les propos tenus par Mmes Gerrits et Whillans lors de la table ronde ont aidé à mieux comprendre la manière dont la nouvelle génération à laquelle elles appartiennent tente de transformer la recherche doctorale. Faisant office de passerelles et contribuant à l’établissement de relations, ces nouveaux chefs de file bousculent l’idée selon laquelle les universités sont seules à créer des connaissances et à les diffuser. La vision de ces acteurs francs et engagés est plutôt celle d’une place publique sur laquelle des gens de tous horizons se croisent pour échanger des idées, promouvoir le dialogue, travailler ensemble ou simplement s’asseoir et discuter. Par leur travail, les doctorants engagés montrent à quel point le milieu universitaire peut être un cadre dynamique permettant à une foule de gens différents de mettre en commun leurs ressources et leurs expertises pour réfléchir et accomplir des choses ensemble.

Titulaire d’un doctorat de l’Université de Toronto, Gina Beltrán est agente de programme du leadership et de l’interaction publique à la Fondation Pierre-Elliott-Trudeau.

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