Vouloir quitter le milieu universitaire n’est pas synonyme d’échec
Les universités n’emploient qu’une toute petite partie des chercheurs et elles leur servent principalement de tremplins vers la prochaine étape de leur carrière.
Quelques personnes m’ont demandé cette semaine ce que je pensais de leur intention de quitter le milieu universitaire pour faire carrière ailleurs. J’avais déjà entendu à plusieurs reprises leurs interrogations et propos et j’ai jugé qu’il serait bon de parler davantage de quelques-uns de ceux-ci :
- « Est-ce que le fait de vouloir quitter le milieu universitaire est synonyme d’échec? »
- « Est-ce que je devrais rester dans le milieu universitaire, ou partir dans le secteur privé? »
- « Tout le monde dit que… »
1. Vous n’avez pas à justifier votre transition par les points de vue d’autrui. Comme la vie, une carrière est jalonnée d’étapes. Certains milieux qui ont pu sembler stimulants et enrichissants pendant l’une d’elles peuvent ensuite devenir monotones, éprouvants ou épuisants. Si vous êtes insatisfait ou malheureux sur le plan professionnel, ou encore excessivement stressé, en panne d’inspiration et en quête de changement, vous n’avez pas besoin de chercher d’autres raisons pour passer à une nouvelle étape. Reconnaître que vous n’êtes pas heureux n’est pas un échec, mais un motif suffisant pour franchir le pas. En vous forçant à continuer de faire quelque chose que vous n’aimez pas alors que vous pourriez faire autre chose, vous vous trahissez vous-même. Les employeurs pressentis vous demanderont sans doute pourquoi vous souhaitez quitter votre poste actuel, mais c’est une question classique, posée à tous les candidats. Ils souhaiteront vous entendre dire que vous êtes passionné et très intéressé par le poste à pourvoir, que celui-ci marquerait une nouvelle étape correspondant parfaitement à vos aspirations, et que rien dans votre parcours n’indique que vous soyez instable et pourriez donc engendrer une quelconque instabilité. Sauf pour un poste universitaire menant à la permanence, aucun employeur ne s’intéressera à votre passé en matière de subventions et de publications, mis à part en ce qui concerne les compétences en budgétisation, rédaction et gestion de programmes qu’il a pu vous procurer.
Le sociologue américain Charles Cooley a bien résumé le concept d’objectivité sociale par cette phrase devenue célèbre : « Je ne suis ni qui vous croyez que je suis ni qui je crois être, mais plutôt qui je pense que vous pensez que je suis. » Dans le cadre de son exploration de la nature humaine et de l’ordre social, M. Cooley a inventé le concept d’« image de soi », celle-ci dépendant selon lui de trois choses : (1) comment une personne croit être perçue par les autres, (2) comment elle imagine qu’ils la jugent en fonction de la perception d’elle qu’elle leur prête, et (3) comment elle pense qu’ils la perçoivent en fonction de leurs jugements précédents. Ce concept mérite qu’on s’y attarde, car il contribue à expliquer pourquoi la manière dont nous nous percevons et agissons dépend en grande partie de ce que nous croyons que les autres pensent de nous. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons tant de mal à en faire abstraction.
2. Des options s’offrent à vous. Il faut définitivement en finir avec l’opposition entre « milieu universitaire » et « secteur privé », qui est inexacte et conduit les chercheurs à croire qu’il s’agit de deux univers distincts. Il faut d’abord préciser que dans les faits, plusieurs entités universitaires correspondent à la définition des entreprises privées. En effet, à l’instar des entreprises privées, nombre d’établissements universitaires donnent accès à un formidable nombre de postes – et de carrières : gestion de subventions, relations publiques, administration, exploitation, gestion de la propriété intellectuelle, financement de partenariats, etc. Ces postes ne mènent pas à la permanence et leurs titulaires font partie de groupes distincts au sein des établissements. Les établissements universitaires concluent en outre des ententes et collaborent avec des organisations et des groupes de défense des intérêts des patients à but non lucratif, des organismes de financement fédéraux, étatiques ou provinciaux, des lobbyistes, des cabinets de relations publiques, des conseillers juridiques, des conseillers en affaires et en stratégies, des organisations de recherche sous contrat, des fabricants de produits, des entreprises axées sur les biotechnologies ou encore des entreprises pharmaceutiques ou électroniques, dont la totalité compte en leur sein des chercheurs de tous niveaux.
En réalité, les universités n’emploient qu’une toute petite partie des chercheurs et elles leur servent principalement de tremplin vers la prochaine étape de leur carrière. Statistiquement, si nous voulons utiliser le terme « carrières alternatives », nous devrions l’employer pour désigner les carrières en milieu universitaire. Les chercheurs qui s’aventurent hors du milieu universitaire sont, pour les meilleurs d’entre eux, très courtisés par les employeurs, qui se les disputent âprement. Les entreprises de biotechnologies, pour ne parler que d’elles, investissent énormément dans des programmes à haut risque assortis d’échéanciers serrés, qui se doivent d’être couronnés de succès. C’est pourquoi les meilleurs et les plus chevronnés des chercheurs ont accès dans ces entreprises privées à des salaires de loin supérieurs à ceux du milieu universitaire. Ce ne sont pas les gens d’affaires qui créent les nouvelles technologies ou inventent de nouveaux médicaments, mais nous, les chercheurs.
3. Vous avez besoin d’autres points de vue. Malgré leurs atouts, un des gros problèmes des établissements universitaires est qu’ils peuvent devenir de véritables chambres d’écho où résonnent toujours les mêmes visions du monde. Résultat : si vous n’avez accès qu’aux points de vue exprimés dans le cadre des programmes de votre université ou par vos collègues, vous risquez de passer des années sans avoir vent des options qui s’offrent à vous. Voilà pourquoi vous devez sortir de cet univers, vous mettre en quête de personnes-ressources, de mentors et d’expériences qui vous permettront d’acquérir une autre vision des choses et de mesurer pleinement l’ampleur des possibilités qui s’offrent à vous.
Imaginez le milieu universitaire comme un vaste océan sous la surface duquel vous avez toujours vécu. Le ciel vous apparaît bidimensionnel, et la surface de l’océan ne reflète que ce qui se trouve sous elle. Conséquence : ceux qui pénètrent dans cet océan, mais le quittent ensuite, semblent disparaître totalement à vos yeux. Exactement comme vos collègues qui quittent le milieu universitaire pour de nouvelles aventures. Ce n’est qu’en crevant la surface de cet océan que vous pourrez à votre tour mesurer l’immensité du ciel et découvrir à quel point il est différent de ce qu’il semblait être. Vous découvrirez en somme tout un monde. Le ciel ne vaut pas mieux que l’océan, mais il est beaucoup plus vaste. Vous n’avez pas à vous limiter à l’un ou à l’autre. Si M. Cooley avait raison et que notre image de nous-mêmes découle de la manière dont nous croyons que les autres nous perçoivent, la première chose à faire pour transformer cette vision de nous-mêmes, et des autres, est de s’aventurer dans un autre milieu. N’hésitez donc pas à explorer l’extérieur du milieu universitaire avant de réfléchir aux prochaines étapes de votre carrière.
Jonathan Thon est le fondateur et le conseiller scientifique en chef de Platelet BioGenesis.
Postes vedettes
- Medécine- Professeur.e et coordonnateur.rice du programme en santé mentaleUniversité de l’Ontario Français
- Droit - Professeur(e) remplaçant(e) (droit privé)Université d'Ottawa
- Médecine - Professeur(e) adjoint(e) (communication en sciences de la santé)Université d'Ottawa
- Littératures - Professeur(e) (Littérature(s) d'expression française)Université de Moncton
- Chaire de recherche du Canada, niveau 2 en génie électrique (Professeur(e))Polytechnique Québec
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