Les divisions au sein de la politique scientifique sont bien en places à Ottawa

Les libéraux ont beau prétendre que « la science est au cœur de chaque action du gouvernement », seuls des gestes symboliques et un discours rassurant sont pour l’heure au rendez-vous.

17 janvier 2020
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J’ai déjà évoqué dans mes chroniques d’Affaires universitaires (ici et ici) les positions sensiblement opposées adoptées par les libéraux et les conservateurs en matière de science depuis les élections fédérales de 2015. En cette fin d’année marquée par l’arrivée à Ottawa d’un gouvernement libéral minoritaire, les lignes de fracture en matière de stratégie scientifique sont bien en place.

Le nouveau cabinet libéral ne semble porteur que de changements superficiels en matière de politique scientifique. Le fait que l’ancienne ministre des Sciences, Kirsty Duncan, n’en fasse pas partie a semé la confusion chez les observateurs occasionnels, qui ont cru que la suppression de son poste signifiait la disparition du ministère des Sciences ou une réduction des ambitions gouvernementales touchant la science. En réalité, le mot « science » est toujours présent dans le nom du ministère dirigé par Navdeep Bains, renommé ministère de l’Innovation, des Sciences et (maintenant) de l’Industrie (plutôt que du Développement économique).

Les réactions montrent que le souci des apparences est au cœur du modus operandi de ce gouvernement. La ministre Duncan était une défenseure active, généralement appréciée, de la stratégie scientifique du gouvernement Trudeau. Au cours des quatre dernières années, elle a été le porte-flambeau de son équipe scientifique, ce qui lui a valu d’être étroitement associée au lancement d’initiatives comme l’Examen du soutien fédéral à la science fondamentale, la création du poste de conseiller scientifique en chef ou l’introduction de critères d’équité dans le Programme des chaires de recherche du Canada. Hélas, les talents de communicatrice de l’ancienne ministre des Sciences n’ont pas suffi à infléchir l’orientation de la politique scientifique canadienne. Dès le départ, son mandat consistait principalement à tisser des liens avec les membres du cabinet – expérience qui lui sera désormais utile en tant que leader adjointe du gouvernement à la Chambre des communes.

Dès l’annonce de la composition du nouveau cabinet, le ministre Bains s’est exprimé sur Twitter pour remercier Mme Duncan de sa détermination à « remettre la science au cœur de chaque action du gouvernement, comme il se doit ». Il a précisé qu’il assumerait désormais les responsabilités de l’ancienne ministre, ce qui dans les faits était d’ailleurs déjà le cas. On peut présumer que M. Bains veillera désormais à placer la science au cœur de chaque action du gouvernement.

Ce type de slogans est monnaie courante depuis la campagne de 2015, moment stratégique que les libéraux n’arrivent pas à surpasser. L’hostilité réelle et perçue des conservateurs de Harper envers la science était alors telle que les libéraux ont fait figure de défenseurs éclairés de celle-ci. Leurs prédécesseurs les y ont bien aidés, entre autres en ne parvenant pas à formuler de manière intelligible leur position à l’égard de la science.

Les libéraux ont dans un premier temps tenté d’apporter la preuve de leur vertu. Hélas, les mesures concrètes qu’ils ont prises, comme l’injection massive de financement dans les organismes subventionnaires en 2018, n’ont pas eu l’effet escompté en raison de l’écart entre le discours des libéraux et les résultats de leurs actions. La prétendue augmentation sans précédent du financement de la recherche fondamentale a semblé presque insuffisante et bien tardive, compte tenu des attentes suscitées en 2017 par la publication du rapport du Comité consultatif sur l’examen du soutien fédéral à la science fondamentale. Aucun gouvernement n’est certes tenu de suivre à la lettre les recommandations stratégiques des groupes de travail qu’il a mis sur pied, mais le manque de réaction officielle aux recommandations du rapport en question, fondées sur des données probantes, contraste vivement avec le discours gouvernemental.

Récemment interrogée à Ottawa sur ses principales réalisations de la dernière année à titre de conseillère scientifique en chef, dans le cadre de la Conférence sur les politiques scientifiques canadiennes, Mona Nemer a d’abord évoqué la création d’un réseau de conseillers scientifiques issus des divers ministères. Au cours des quatre dernières années, le gouvernement n’a en effet pas hésité à multiplier les nominations à des postes dont l’appellation comporte le mot « science ». Ce n’est pas une mauvaise chose. Le problème, c’est qu’on voit toujours mal en quoi « la science est au cœur de chaque action du gouvernement ». L’ambitieuse promesse gouvernementale consistant à favoriser la prise de décisions fondées sur des données probantes accentue la confusion. Interrogée sur l’incidence qu’elle a pu avoir sur l’élaboration des stratégies, Mme Nemer a indiqué que la question devrait être adressée aux politiciens.

Si les libéraux s’en tiennent à de beaux discours, les conservateurs ont pour leur part fait marche arrière, optant volontairement pour une absence de point de vue sur la stratégie scientifique. Leur chef, Andrew Scheer, s’est montré plus enclin à adopter des positions antiscience qu’à formuler ne serait-ce qu’une phrase complète sur la question. En Ontario, le premier ministre, Doug Ford, n’a pas hésité, dès son entrée en fonction, à destituer la scientifique en chef de la province. Il avait promis de nommer quelqu’un pour lui succéder, mais ne l’a toujours pas fait et ne le fera sûrement jamais.

La science n’est pas un enjeu politique majeur au Canada, où elle ne compte nulle part parmi les principales préoccupations des électeurs. Cela n’explique cependant pas l’étroitesse du débat politique national sur la science, et n’écarte pas non plus a priori toute possibilité d’amélioration. Dans les années à venir, nous aurons besoin d’acteurs politiques qui, en plus de ne pas être antiscience, iront au-delà des discours rassurants et des gestes symboliques sans éviter de tenir un vrai débat sur la question.

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