Depuis le début de la pandémie, de nombreuses universités rapportent des quantités records de demandes d’admission de la part d’adultes qui retournent aux études à temps partiel ou à temps plein tout en continuant d’assumer diverses responsabilités comme le travail, la famille et d’autres obligations de la vie adulte.
Tant les candidat.e.s aux études que les responsables des établissements postsecondaires invoquent la possibilité de suivre des cours à distance ou le désir de repenser sa carrière comme raisons motivant cette tendance.
Toutefois, on ignore quel.le.s adultes, exactement, retournent sur les bancs d’école, et ce que ce groupe représente sur le plan démographique, ou en quoi la pandémie a influé sur le taux d’inscription. Par exemple, selon The Guardian, les universités australiennes ont connu une diminution des inscriptions, clairement tributaire du genre. En effet, le nombre d’étudiantes ayant chuté de 86 000 par rapport à celui de leurs homologues masculins, lequel a connu une baisse de 21 200.
Nos travaux de recherche portent sur les changements avec lesquels les étudiantes adultes doivent composer lorsqu’elles décident de retourner aux études universitaires, et sur les moyens que peuvent prendre les établissements qui les accueillent pour soutenir leur réussite. Les universités peuvent faire davantage qu’aplanir les obstacles auxquels se heurtent les étudiantes adultes et, par le fait même, toute personne apprenante dont le parcours diffère de celui de la majorité – c’est-à-dire les étudiant.e.s démographiquement sous représenté.e.s dans les universités.
Une voie vers l’indépendance
Selon une étude menée auprès de couples de la classe moyenne à deux revenus, les hommes qui décident de retourner aux études font, pour la plupart, mention d’un désir de croissance personnel ou d’avancement professionnel. Quant aux femmes, elles sont en général plus susceptibles d’être motivées par leurs relations ou les événements de la vie.
Ces différences sont importantes dans la mesure où elles révèlent certaines des difficultés auxquelles se heurtent les femmes – comme le besoin d’opérer un allègement des responsabilités familiales ou d’obtenir un soutien additionnel. Ces responsabilités – et les ressources dont disposent les étudiantes adultes pour les assumer – subissent l’influence d’une multitude de facteurs, tels que la classe sociale ou la présence d’un handicap.
Le retour aux études peut comporter d’importants avantages personnels pour les femmes, notamment de favoriser un sentiment d’autonomie et d’indépendance vis-à-vis des structures familiales traditionnelles. À cet égard, une étude a révélé qu’une formation supérieure a le pouvoir de consolider l’identité des femmes et de transformer leur vision du monde.
Les difficultés d’un retour aux études
Une recherche a permis de cerner trois principaux types d’obstacles auxquels se heurtent les étudiantes adultes dans leur parcours :
1) Les obstacles situationnels font référence aux conflits que vivent les femmes qui doivent jongler avec de multiples rôles, comme le travail rémunéré à temps plein, la garde d’un enfant et les responsabilités en tant que proche aidante. Par exemple, quand les étudiantes adultes qui sont mères retournent à l’école, elles doivent souvent faire face à certains préjugés sociaux et à des interrogations de la part d’autrui, notamment à l’égard de leurs compétences de « bonnes mères ».
Les femmes adultes qui poursuivent des études supérieures se trouvent souvent plongées dans une culture universitaire dominée par les jeunes et découvrent que leurs propres façons de participer à la vie universitaire sont stigmatisées. L’âgisme genré s’observe notamment lorsqu’on juge les femmes trop âgées pour progresser sur le plan universitaire. Il arrive que les étudiantes adultes vivent de la discrimination fondée sur le sexe en raison du déclin (perçu) de leur « charme » et de leur valeur sociale avec l’âge. Les étudiantes adultes de la communauté PANDC (personnes noires, autochtones ou de couleur) qui fréquentent l’université font face à des formes corrélées de discrimination dans la mesure où elles doivent aussi lutter contre le racisme systémique.
2) Les obstacles institutionnels – comme le souligne dans ses travaux la professeure Xi Lin, spécialiste des sciences de l’éducation – font référence aux défis que peuvent poser la famille, les proches, les membres de la communauté et les structures universitaires. Il existe d’ailleurs un chevauchement entre les obstacles situationnels et institutionnels si l’on considère la famille et les universités toutes deux comme des institutions sociales.
Par exemple, les étudiantes adultes peuvent faire face à de la discrimination fondée sur le sexe dans leurs relations interpersonnelles. Ou encore de la discrimination fondée sur l’origine ethnique quand un programme d’études revêt un caractère exclusif et ne reflète pas les connaissances et la vie des personnes issues de la communauté PANDC. Les obstacles institutionnels peuvent également englober les lacunes en matière d’accommodement des étudiant.e.s adultes vivant avec un handicap.
La plupart des universités ne sont pas adaptées aux besoins des personnes apprenantes qui doivent jongler avec plusieurs rôles et engagements. Cet état de fait se reflète autant dans la conception des programmes que dans les services universitaires ou les services aux étudiant.e.s, lesquels ne sont offerts que durant les heures « normales » de bureau. Or, des études ont montré que quand on modifie la logistique des programmes d’études de manière à répondre aux besoins des étudiant.e.s adultes, leurs résultats s’améliorent. Il s’agirait dans certains cas de prolonger la période durant laquelle les étudiant.e.s doivent terminer leur programme, ou encore d’adapter le calendrier de prestation des cours en fonction des heures d’école des enfants.
3) Les obstacles personnels englobent les facteurs liés aux dispositions individuelles, notamment la peur de l’échec, l’attitude envers l’activité intellectuelle et les perceptions à l’égard de la capacité de réussir. Les obstacles institutionnels et situationnels peuvent créer un contexte où les étudiant.e.s adultes remettent en question leur démarche et leur place dans le milieu universitaire faute de correspondre à l’image de l’étudiant.e typique.
Faire tomber les barrières
Nous proposons trois façons de mieux soutenir les étudiant.e.s adultes durant leurs parcours universitaires :
1) Abattre les préjugés entourant la présence d’étudiant.e.s plus âgé.e.s dans la sphère de l’enseignement supérieur. En tant que société, nous devons lutter contre l’âgisme genré – de la même manière que nous condamnons le racisme et toute autre forme d’exclusion – dans les universités. L’âgisme genré est une forme d’exclusion encore trop peu explorée. Les universités doivent élargir leurs initiatives EDI (équité, diversité et inclusion) de façon à y inclure l’âgisme en tant que forme de discrimination qui ne peut être tolérée.
2) Offrir des occasions aux étudiant.e.s adultes de tous les horizons de participer à la vie universitaire. Afin d’atténuer leur sentiment de ne pas appartenir au milieu universitaire, les étudiant.e.s adultes ont besoin d’espaces où ils peuvent cultiver un esprit de communauté. Il peut s’agir d’aménager des réseaux ou des centres propices à la création de liens parmi les étudiant.e.s adultes, en dialogue avec les réseaux universitaires existants ayant pour mission de faire tomber les obstacles et de favoriser l’inclusion des étudiant.e.s marginalisé.e.s. Il peut s’agir d’espaces accessibles en ligne, propres à faciliter la vie des étudiants adultes dont l’horaire est très chargé.
3) Adapter la logistique des programmes à la réalité des étudiant.e.s devant jongler avec plusieurs rôles. La pandémie est une occasion pour les universités de repenser leur offre étudiante et d’organiser l’horaire des cours de manière à créer des campus inclusifs. Les services de soutien aux étudiant.e.s, comme la consultation pédagogique, pourraient être offerts le soir afin d’accommoder les étudiant.e.s qui travaillent le jour. Les universités pourraient en outre explorer la possibilité d’offrir des services de garde à faible coût sur le campus le soir et les week-ends pour accommoder les étudiant.e.s parents. Les dates de début et de fin de trimestre pourraient être fixées en fonction des calendriers scolaires du primaire et du secondaire. Des efforts doivent être déployés pour rendre les études plus accessibles aux étudiant.e.es non traditionnel.le.s. Pour ce faire, il faut d’abord les aider à conjuguer les différentes sphères de leur vie.
Les femmes adultes – comme tous les étudiant.e.s adultes, d’ailleurs – apportent souvent en classe des années d’expérience et une perspective nouvelle. Il est temps de rendre les classes des universités plus accessibles, et ce, au profit de tous.
Heather Sorella est candidate au doctorat en études éducationnels à l’Université Concordia
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.