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EDI : les établissements canadiens progressent sans objectifs clairs

« Il faut comprendre que les établissements d’enseignement supérieur n’ont pas été conçus pour la diversité », explique Wendy Rodgers.

par MOIRA MACDONALD | 30 OCT 24

D’après un récent rapport du Conseil des académies canadiennes (CAC), les universités du pays progressent en matière d’équité, de diversité et d’inclusion (EDI). Il y a toutefois un bémol : l’EDI ne fait pas encore partie intégrante de la vie universitaire, et on manque de données fiables pour déterminer quelles stratégies fonctionnent – et pour qui.

Le rapport, intitulé Pratiques en matière d’équité, de diversité et d’inclusion dans le système de recherche postsecondaire, révèle que les meilleures stratégies en la matière sont interreliées et complémentaires; aucune n’est particulièrement efficace par elle-même. Pour assurer la survie et la pleine portée d’une initiative, il faut un leadership engagé, des figures fortes, des structures organisationnelles adaptées, une communication transparente, des mécanismes redditionnels et un accès généralisé aux ressources, affirme Wendy Rodgers, rectrice de l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard et présidente du panel de onze spécialistes à l’origine du rapport.

« Les questions d’infrastructure et de soutien sont essentielles : il faut comprendre que les établissements d’enseignement supérieur n’ont pas été conçus pour la diversité, explique-t-elle. Ils ont été créés par et pour les groupes dominants, qui les ont contrôlés pendant des siècles ».

Le CAC est une organisation à but non lucratif qui regroupe des spécialistes du secteur afin d’évaluer les données sur des enjeux scientifiques complexes d’intérêt public. Les panélistes proviennent de diverses universités du Canada, occupent un éventail de rôles administratifs et spécialisés, et ont de l’expérience avec les projets de recherche ou les initiatives d’EDI, ou les deux. Le rapport a été commandé en 2023 par les trois organismes subventionnaires fédéraux ainsi que d’autres organismes et ministères fédéraux, qui s’inquiétaient des progrès inégaux de l’EDI dans les établissements, de l’efficacité des initiatives mises en œuvre et des méthodes d’évaluation des résultats. L’objectif : étudier ce que font les universités pour promouvoir l’EDI, évaluer l’efficacité des stratégies employées et dégager les plus bénéfiques pour les groupes sous-représentés aux identités multiples ou intersectionnelles dans l’écosystème de recherche postsecondaire.

Ce qui est « remarquable », c’est qu’il s’agit d’une initiative des trois organismes, souligne Arig al Shaibah, vice-rectrice adjointe à l’équité et à l’inclusion à l’Université de la Colombie-Britannique, qui a été haute responsable de l’EDI dans plusieurs universités au pays et dont les travaux sont cités dans le rapport. Jugeant le document « très prometteur » pour les projets d’EDI, Mme al Shaibah estime qu’il brosse un « portrait unique, actuel, complet et probant du contexte canadien » qui récapitule bien ce qu’on sait des pratiques exemplaires en matière d’EDI. Selon elle, le rapport « amplifie deux messages clés […] sur lesquels on ne saurait trop insister » : l’EDI concerne autant l’accès à l’éducation et l’égalité des chances que l’excellence en recherche, et les efforts doivent passer par un réseau interconnecté d’initiatives et de mesures de soutien.

« Je suis persuadée qu’il peut être utile à bien des égards », affirme-t-elle; en effet, le rapport contient un cadre facile d’abord qui allège la tâche et donne des exemples concrets.

Le document de 232 pages comprend des chapitres dédiés aux pratiques probantes et efficaces pour intégrer l’EDI aux processus de recrutement et aux mesures de soutien visant le corps professoral, le personnel et la population étudiante, au développement institutionnel, au financement gouvernemental et au processus de recherche. Il comporte également un chapitre sur les facteurs généraux favorisant la mise en œuvre des initiatives d’EDI. Chaque chapitre se conclut par un résumé des initiatives les plus prometteuses, des éléments nécessaires à leur succès et de leurs retombées potentielles. Le panel a étudié des données du Canada et d’ailleurs, notamment des États-Unis, du Royaume-Uni, de la Nouvelle-Zélande, de l’Australie et de l’Union européenne.

Pour combler les lacunes dans les données, il faut instaurer un climat de confiance

Le travail du panel était toutefois limité par le manque de données, tant quantitatives que qualitatives. C’est un problème : les universités « lancent des initiatives un peu à l’aveuglette, sans avoir de réel point de référence, se désole Mme Rodgers. Il arrive aussi qu’elles n’aient pas d’objectifs clairs et ne sachent pas exactement ce qu’elles cherchent ».

Le panel s’est concentré sur les quatre groupes désignés dans la législation sur l’équité en matière d’emploi – les peuples autochtones, les femmes, les personnes handicapées et les minorités visibles –, ainsi que sur la communauté 2ELGBTQIA+. Il a toutefois précisé qu’il faudrait étudier davantage les autres groupes marginalisés, comme les personnes neurodivergentes ou issues de milieux défavorisés, et celles ayant plus d’une identité marginalisée (identité intersectionnelle). Les données désagrégées, qui renseignent sur les sous-groupes appartenant aux grandes catégories (les étudiantes et étudiants noirs dans la catégorie des minorités visibles, par exemple), ont aussi leur importance : elles permettent de déceler en quoi une initiative touche différemment les divers groupes.

« Il nous faut une approche véritablement délibérée et mesurée », insiste Mme Rodgers.

Si la plupart des universités recueillent des données dans le cadre de la législation sur l’équité en matière d’emploi, l’utilité de cette information est limitée par sa provenance et par la généralité des catégories officielles. De plus, les gens n’ont pas tendance à vouloir fournir des renseignements détaillés sans savoir ce qu’on en fera, fait remarquer Mme Rodgers. Il incombe donc aux universités d’inspirer confiance.

« Il faut leur faire comprendre que les données recueillies ne dormiront pas au fond d’un tiroir, et qu’on s’en servira pour changer les choses », explique Juliet Daniel, professeure de biologie à l’Université McMaster, membre du panel de spécialistes et promotrice de la collecte de données spécifiques à la race dans la recherche en santé. Son université recueille d’ailleurs des données supplémentaires, et s’est attirée la confiance de la population grâce à des initiatives comme son comité consultatif du rectorat sur l’inclusivité créé il y a plus de 20 ans et dont les membres représentent toute la diversité de McMaster. Pour Mme Daniel, l’idéal serait toutefois que le gouvernement fédéral oblige les universités à recueillir des données détaillées en utilisant un processus sécurisé.

Parmi les points positifs mentionnés dans le rapport, notons la réduction de l’écart salarial et des inégalités entre les sexes au sein du corps professoral, ainsi que la présence accrue des groupes historiquement sous-représentés dans des postes à temps plein et de cadres. Certains établissements d’enseignement supérieur ont instauré des postes de direction et des bureaux réservés à l’EDI et ont travaillé à augmenter la diversité dans le secteur des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques (STIM) et ailleurs; le Grand Concours de bourses postdoctorales Claire-Deschênes pour les femmes en ingénierie de l’Université de Sherbrooke et l’initiative d’emploi pour l’excellence noire de l’Université McMaster en sont de bons exemples. Du financement est également offert à des projets de recherche communautaires axés sur les groupes historiquement marginalisés, comme les subventions Connexion décernées par le Conseil de recherches en sciences humaines.

En 2006, à la suite d’une entente de règlement exigeant que les universités élaborent des plans d’action en matière d’EDI, Mme Rodgers a aussi vu à l’établissement des cibles en matière d’équité pour le Programme des chaires d’excellence en recherche du Canada. C’est un « parfait exemple » du pouvoir d’action qu’exercent les grands organismes. « Le changement a soulevé un concert de protestations, au début. On nous disait que c’était injuste », se rappelle Mme Rodgers, qui a été responsable du Programme des chaires de recherche du Canada à l’Université de l’Alberta, où elle était vice-rectrice principale adjointe. Des années plus tard, « on n’en parle plus vraiment. C’est intégré au programme. C’est une exigence, alors on la respecte. »

Le rapport a également tiré les conclusions suivantes :

  • Les programmes de transition, comme le programme Indigenous Futures in Engineering de l’Université Queen’s, ainsi que les processus d’admission inclusifs, comme celui de l’École de médecine et de dentisterie Schulich de l’Université Western (dont le comité d’admission comprend une personne représentante de l’équité), semblent augmenter la diversité étudiante.
  • Les modalités de travail flexibles pour le personnel et la population étudiante aident à réduire les obstacles pour tout le monde et à réduire les demandes d’accommodements individuels.
  • Les politiques de rémunération transparentes et flexibles (p. ex., axées sur l’ancienneté ou les compétences plutôt que discrétionnaires) aident à réduire l’iniquité salariale.
  • Pour éviter la « taxe minoritaire », il faut reconnaître officiellement le travail non rémunéré effectué par les membres des groupes sous-représentés pour promouvoir l’EDI.
  • Bien que le programme pilote Dimensions et les Subventions de renforcement de la capacité des établissements en matière d’EDI se soient révélés prometteurs pour favoriser l’EDI dans les universités, ces initiatives fédérales ont été éliminées sans avoir été officiellement évaluées.
  • Les programmes de financement qui offrent un soutien fiable aux chercheuses et chercheurs sous-représentés à tous les stades de leur carrière sont importants pour favoriser l’EDI à long terme dans le milieu de la recherche.
  • Les mécanismes favorisant la responsabilisation et la transparence dans les programmes de financement aident à atteindre les cibles en matière d’équité.
  • Il faut repenser de fond en comble la définition de l’excellence en recherche, et valoriser la collaboration plutôt que la concurrence excessive. Le rapport cite également la Déclaration de San Francisco sur l’évaluation de la recherche, ou DORA, comme exemple d’une approche différente, qui n’est pas axée sur les publications scientifiques.
  • Les efforts pour favoriser l’EDI continuent de rencontrer une certaine résistance, notamment en ce qui concerne les risques pour la liberté universitaire, le principe du mérite et l’excellence en recherche. Qui plus est, on ignore si la formation sur la diversité peut entraîner une modification des comportements à long terme. Le rapport propose d’accentuer l’aspect pratique et spécifique de la formation, notamment en ce qui concerne la manière de rendre les universités accessibles aux personnes en situation de handicap.
  • Si le panel s’est intéressé aux exemples d’autochtonisation dans les universités, il recommande que soient menés des travaux de recherche distincts, sous la direction d’universitaires et de gardiennes et gardiens du savoir autochtones, afin d’en évaluer l’efficacité.
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