Étude des catastrophes : un domaine en plein essor

Les catastrophes sont de plus en plus fréquentes – et ces programmes visent à expliquer pourquoi. 

05 février 2025
Photo de : LA PRESSE CANADIENNE/Sean Kilpatrick

La prévention, la gestion, l’atténuation et la compréhension des catastrophes et des situations d’urgence requièrent une expertise s’appuyant sur des données probantes. De tels événements peuvent survenir à l’échelle locale, nationale ou internationale, ou toucher un seul organisme. Il peut s’agir d’une inondation, d’un incendie, d’un écrasement, de la défaillance d’un produit, d’une épidémie ou d’une tuerie. 

Les catastrophes naturelles sont de plus en plus fréquentes; Statistique Canada signalait en octobre que 2024 était déjà l’année la plus coûteuse en ce qui concerne les paiements d’assurance liés à des événements météorologiques. Par conséquent, les universités du Canada sont plus nombreuses à offrir des programmes d’étude des catastrophes et de gestion des situations d’urgence. Les personnes qui y sont inscrites peuvent devenir gestionnaires de situations d’urgence, responsables de l’élaboration de politiques ou spécialistes de la continuité des activités, et contribuer à la recherche dans un champ interdisciplinaire et appliqué auquel on s’intéresse de plus en plus.  

L’Université York est la dernière à s’être mise de la partie. Elle a récemment lancé un programme de doctorat en étude des catastrophes, qui accueillera sa première cohorte à l’automne 2025. 

« Nous voulons repousser les frontières du savoir sur la gestion des catastrophes et des situations d’urgence, explique Aaida Mamuji, directrice du programme d’études supérieures en la matière. Les programmes portant sur ce domaine sont rares [au Canada]. Nous contribuons à faire croître ce milieu. C’est nécessaire. Les catastrophes gagnent en gravité, en fréquence et en complexité. » 

L’Université York offre aussi des programmes de premier cycle, de maîtrise et de certificat dans ce domaine. D’autres universités ont mis en place divers programmes : L’Université de Brandon au Manitoba propose un programme de premier cycle, et l’Université Royal Roads à Victoria, des programmes de maîtrise et de diplôme d’études supérieures. L’Université métropolitaine de Toronto et l’Université de Victoria proposent toutes deux des certificats par l’intermédiaire de leur département de formation continue. L’Université du Québec à Montréal offre un diplôme d’études supérieures, en plus de diriger l’Observatoire canadien sur les crises et l’action humanitaires (OCCAH).  

Ce domaine de recherche spécialisé a en fait vu le jour au Canada. En 1920, Samuel Henry Prince, du Nouveau-Brunswick, a publié Catastrophe and Social Change, une étude de l’explosion de Halifax qui était fondée sur sa thèse de doctorat à l’Université Columbia. L’ouvrage est maintenant considéré comme la première étude systématique d’une catastrophe

Peu de choses se sont ensuite produites durant les quelque 80 années qui ont suivi. Au début de septembre 2001, Jack Lindsay, professeur agrégé au programme d’études appliquées en catastrophes et situations d’urgence de l’Université de Brandon, a donné l’un des premiers cours au pays portant sur les catastrophes. Il n’existait aucun cours semblable au Canada, et on n’en recensait que quelques-uns à travers le monde. Une semaine plus tard, le domaine était à jamais métamorphosé. 

« Les attentats du 11 septembre ont tout changé. Les fonds ont commencé à affluer », se souvient-il, relevant que certains programmes américains ont même été renommés. En y intégrant des mentions comme « sécurité nationale », on souhaitait attirer les dons et les fonds par l’intermédiaire d’organisations comme l’Institut de gestion des situations d’urgence (FEMA). Une étude de 2003 dénombrait 89 programmes en gestion de situations d’urgence aux États-Unis, par rapport à cinq en 1995. 

De nos jours, il existe des centaines de tels programmes aux États-Unis, dont 23 de niveau doctoral. Au Canada, les écoles polytechniques et les collèges offrent une formation en gestion des situations d’urgence destinée aux secouristes, tandis que les programmes universitaires allient la théorie à la formation pratique destinée aux gestionnaires.  

« Les compétences appliquées acquises visent la rédaction de notes d’information pour les ministres ou la préparation de campagnes de sensibilisation du public », explique M. Lindsay.  

Les cours portent généralement sur la gestion de situations d’urgence – selon quatre piliers : atténuation, préparation, intervention et rétablissement –, l’évaluation des risques, le droit, la santé publique, les répercussions sociales et la continuité des activités. Les programmes peuvent toucher à l’urbanisme, aux communications, aux sciences de l’environnement et au genre. La plupart prévoient des projets de recherche et des stages. 

L’Université de Brandon présente son programme comme une formation pratique pour les gestionnaires de situations d’urgence, les personnes assumant un rôle de direction dans les organisations militaires et les services de police et d’incendie, et l’ensemble des personnes qui, dans la fonction publique et le secteur privé, s’occupent de la gestion et de la planification des mesures d’urgence et des risques. Par exemple, M. Lindsay – qui a étudié l’urbanisme – a joué le rôle de gestionnaire de situations d’urgence pendant la panne d’électricité de 1998 à Auckland, alors que le centre-ville avait été privé de courant pendant six semaines. Devant la Commission populaire d’Ottawa, qui a dû composer avec le Convoi de la liberté à Ottawa en 2022, il a également discuté de la manière d’éviter la déclaration de l’état d’urgence.  

Le recteur et vice-chancelier de l’Université Royal Roads Philip Steenkamp explique que les programmes d’études supérieures de l’établissement en gestion des catastrophes, qui ont été lancés en 2006, sont influencés par l’étude des conflits, l’une des spécialités de cette université militaire, ainsi que par sa maîtrise en leadership en matière d’action climatique et son laboratoire Resilience by Design, une initiative de recherche sur les changements climatiques.  

L’Université crée des ponts vers le marché du travail, si bien que des professionnelles et professionnels viennent y mettre leurs compétences à niveau pour occuper un poste au sein d’organisations militaires, du gouvernement, d’instances dirigeantes autochtones et de services de communication d’entreprises, et acquièrent au passage une connaissance globale du sujet. « Ces programmes s’intéressent aux dimensions sociales et éthiques complexes de la gestion des catastrophes et des situations d’urgence. [Ils mettent de l’avant] l’influence des facteurs culturels, sociaux et relatifs aux politiques sur la gestion des situations d’urgence », ajoute M. Steenkamp. 

À l’Université York, les programmes sont rattachés aux études en administration; bien que les étudiantes et étudiants explorent souvent des cours sur le commerce, ces programmes demeurent hautement interdisciplinaires. Mme Mamuji, professeure agrégée, est titulaire d’un doctorat en administration publique, qui l’a amenée à s’intéresser à l’aide humanitaire qu’offre le Canada aux autres pays en temps de crise. Plus récemment, ses travaux ont porté sur la prise en compte des personnes ayant un handicap dans la gestion des inondations de la région de Muskoka et sur le traitement des groupes minoritaires lors des incendies de 2016 à Fort McMurray. Ses collègues étudient les inondations, les feux de forêt et la télédétection. 

Lancé en 2007, le programme de maîtrise de l’Université York mise sur la recherche. Un diplôme de premier cycle a suivi deux ans plus tard, et le programme de doctorat s’ajoute maintenant à l’offre de l’établissement. Celui-ci propose également des occasions de partenariat par l’intermédiaire de son laboratoire de collaboration pour la recherche sur la gestion, les politiques et la préparation relatives aux situations d’urgence.  

Les catastrophes ont des répercussions sur bien des domaines, y compris le journalisme; Sean Holman, professeur Wayne Crookes de journalisme environnemental et climatique au département de rédaction de l’Université de Victoria, a donc lancé en 2021 un projet sur les catastrophes climatiques

Découlant d’un cours, ce projet, qui a maintenant une portée internationale, a amené plus de 230 étudiantes et étudiants en rédaction à adopter une approche tenant compte des traumatismes pour interviewer les personnes ayant survécu à une catastrophe climatique, et pour obtenir leur consentement éclairé à la publication de leurs témoignages intégraux. « Les étudiantes et étudiants apprennent non seulement à rendre compte des catastrophes et à travailler efficacement auprès des personnes survivantes, mais aussi à composer avec un éventail de connaissances difficiles et avec des personnes qui subissent diverses crises humanitaires », explique M. Holman. 

La hausse de la fréquence des catastrophes crée une demande pour des personnes pouvant aider à les prévenir et à les gérer, à faciliter le rétablissement et à appliquer les pratiques exemplaires découlant des recherches universitaires.  

« Il nous faut davantage de programmes, que nous devons également faire mieux connaître », ajoute Mme Mamuji, qui constate que les personnes détenant une formation, peu importe le niveau, sont très recherchées. « Nous ne sommes pas assez nombreuses et nombreux pour former une communauté de spécialistes de la gestion des catastrophes. Le nombre de postes à pourvoir un peu partout dépasse le nombre de personnes disposant de la formation universitaire nécessaire. Le besoin est flagrant. » 

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