Les effets de la crise Laurentienne vus par la communauté francophone

La restructuration de l’Université Laurentienne a eu l’effet d’une onde de choc pour la communauté francophone du Nord de l’Ontario.

29 avril 2021
Laurentian University Photo picture 2

L’hécatombe de l’Université Laurentienne à Sudbury a de loin dépassé les attentes les plus pessimistes. Le lundi 12 avril, une centaine de professeurs et des dizaines d’employés ont été mis à pied, 69 programmes ont été abolis, la convention collective a fait « un retour en arrière d’une trentaine d’années » selon un professeur… Le processus de restructuration entamé en février dernier lorsque l’Université s’est placée sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies laissera des séquelles.

L’Université Laurentienne a été créée par trois universités confessionnelles afin d’accéder à du financement gouvernemental. Elle dessert depuis 1960 le Nord de l’Ontario, où résident environ 21,8 pour cent des 622 340 Franco-Ontariens.

Au cours des premières années, la moitié des étudiants étaient francophones, en raison de la popularité de l’Université de Sudbury, qui ne deviendrait bilingue qu’en 1963. Elle a permis à une première génération de francophones d’avoir accès à une éducation universitaire alors qu’à cette époque, les francophones du Canada étaient beaucoup moins éduqués que les anglophones.

Tandis que d’autres communautés francophones du pays allaient obtenir leur collège ou université de langue française, les Ontariens ont choisi un modèle bilingue tant à Ottawa qu’à Sudbury. Comme le rappelle le chroniqueur et diplômé de l’Université Laurentienne, Réjean Grenier, c’était une grande avancée à une époque où le Canada n’était pas encore considéré comme un pays bilingue.

En avril, la communauté francophone — à l’intérieur et à l’extérieur des murs de l’université — s’est sentie particulièrement attaquée par les choix de l’administration. Au total, 42 pour cent des programmes de premier cycle coupés sont de langue française, alors que le poids des étudiants inscrits dans un programme en français n’atteint qu’environ 20 pour cent.

De plus, un certain nombre de programmes en français affectés sont inclus dans la désignation partielle de la Laurentienne sous la Loi des services en français de l’Ontario, et ce, depuis 2014. Mais il n’y a pour l’instant pas de consensus sur le type de protection qu’offre cette loi ni comment l’appliquer dans la situation actuelle.

De son côté, le recteur de l’Université Laurentienne, Robert Haché, explique dans un communiqué que l’établissement a ciblé les programmes avec de faibles taux d’inscription, en tenant compte de seuils différents selon la langue. Plusieurs ne comptaient que deux ou trois étudiants par année, d’autres étaient sans inscription depuis un certain temps. M. Haché estime que seulement 10 pour cent des quelque 9 300 étudiants seront concernés. Un chiffre contesté par les professeurs, puisque plusieurs programmes éliminés, comme la philosophie ou les études françaises, offraient des cours de services pour les programmes plus populaires.

Si 17 pour cent des professeurs enseignant en anglais, soit 43 sur 250, ont perdu leur emploi, le Regroupement des professeurs francophones (RPF) de l’Université Laurentienne soutient que le ratio est beaucoup plus élevé chez les professeurs francophones. « Puisque nous estimons à 100 le nombre de professeurs qui avaient, en 2020-2021, des cours en français dans leur charge d’enseignement, c’est 40 pour cent des ressources professorales qui […] sont disparues », avance un des membres du comité de coordination du RPF et professeur agrégé du Département de philosophie, Denis Hurtubise, qui fait partie des professeurs limogés.

Mises à pied groupées

Plusieurs professeurs ont dénoncé le manque de compassion du processus de mises à pied. Elles ont été annoncées par rencontres Zoom avec des groupes d’une vingtaine de professeurs. Alors que la majorité des professeurs dans son groupe étaient francophones, Joel Belliveau, professeur d’histoire, rapporte que presque toute la rencontre a eu lieu en anglais.

La vice-rectrice à la recherche a lu un message d’une minute avant de « s’éclipser » et le reste de la rencontre a été mené par des firmes externes. « Comme-ci on était prêt à ce moment-là à parler de notre reconversion de carrière », lance M. Belliveau.

Dans le cas des professeurs francophones, les chances de retrouver un poste similaire sont minces, dans la région ou ailleurs. Une semaine plus tard, M. Belliveau commençait à peine à vouloir y penser. En attendant, il dit avoir amorcé sa « thérapie » dans l’action, affichant des messages et partageant de l’information sur la restructuration sur les réseaux sociaux.

Peu d’options pour les étudiants

Quoiqu’il ait été conscient de la menace planant sur son programme, la rage habite l’étudiant en théâtre Mauricio Campbell-Martinez. Sa troisième année terminée, il ne peut plus obtenir le diplôme qu’il convoitait. Aucun des diplômes encore offerts ne l’intéresse et le programme de théâtre en français le plus proche est à cinq heures de route, à Ottawa, dans une autre université bilingue.

« Mes rêves ne seront pas détruits par une institution. Le théâtre est la seule chose qui m’anime, dit l’étudiant. Mais je mentirais si je disais que je ne suis pas un peu bouleversé. Je pensais que j’étais bien et on m’a enlevé le tapis sous les pieds. »

Un bouleversement ressenti bien au-delà de la communauté universitaire. Au fil du temps, les francophones ont entretenu une relation amour/haine avec l’établissement postsecondaire. L’auteur et diplômé de la Laurentienne, Normand Renaud, met des mots sur ce lien et signe un texte publié dans un journal local dans lequel il écrit : «La Laurentienne n’a pas été notre berceau. Elle a été notre caveau.»

Cette ambivalence ne date pas d’hier. « L’expérience a démontré rapidement qu’une université bilingue était contrôlée par des anglophones et que tout s’y passait en anglais », souligne Réjean Grenier. Celui-ci précise que dès le milieu des années 1970, entre autres après le congrès Franco-Parole organisé en 1973, les Franco-Ontariens, surtout ceux du Nord, ont commencé à réclamer une université de langue française. Plusieurs des avancées de la francophonie ontarienne réalisées sur le campus de la Laurentienne l’ont été « envers et contre » l’administration majoritairement anglophone, rappelle-t-il. À titre d’exemple, aujourd’hui un symbole rassembleur, le tout premier drapeau franco-ontarien a été hissé devant l’Université de Sudbury parce que la Laurentienne avait d’abord refusé de le faire.

Importante malgré tout

Les Franco-Ontariens ont donc pris leur place au sein de cette université et de la société par leurs propres moyens. Le Théâtre du Nouvel-Ontario (TNO) fête ses 50 ans en 2021 par le biais de la célébration de sa pièce fondatrice : Moé j’viens du Nord ‘stie, qui a été montée par des étudiants de la Laurentienne. Certains de ces mêmes étudiants ont créé les Éditions Prise de parole. La première Nuit sur l’étang, une « folie collective d’un peuple en party », a aussi eu lieu sur le campus en 1973, dans le cadre de Franco-Parole.

Tous les programmes d’études qui alimentaient ces organismes en stagiaires, en employés et en créateurs — théâtre, études françaises, histoires, etc. — n’existent plus à la Laurentienne.

« La coupe à blanc des programmes s’inscrit à contrecourant de tous nos efforts des dernières années », explique la directrice artistique du TNO, Marie-Pierre Proulx. « Ces jeunes esprits créateurs sont essentiels à la vitalité d’un organisme comme le TNO. Ils contribuent à le garder bien ancré au sein de sa communauté. »

« La communauté francophone minoritaire du Nord fait face à moyen et à long terme au syndrome de la ville fantôme », prévient le directeur général des Concerts La Nuit sur l’étang, Pierre-Paul Mongeon. Comme plusieurs, il craint que l’exode des jeunes s’accélère.

La perte des professeurs est tout aussi grave. Ils étaient spectateurs pour les uns, auteurs pour les autres. Pour les organismes et les médias locaux, toute une expertise professionnelle locale est perdue, prévient la première chef des contenus du Nord pour Radio-Canada à Sudbury, Isabelle Fleury. Plus de Chaire de recherche en histoire de l’Ontario français, plus d’experte en science politique, plus de spécialiste de l’économie des mines et des relations de travail pour expliquer en français des dossiers complexes.

Pendant que la communauté franco-ontarienne prend la mesure des répercussions de la première partie de la restructuration de l’Université, les données d’un sondage que la Fédération de la jeunesse franco-ontarienne a effectué auprès de ses membres en mars offrent une lueur d’espoir. Elles indiquent qu’environ 60 pour cent des élèves francophones en 11e et 12e années affirment vouloir étudier en français. Des résultats qui nourriront le projet de l’Université de Sudbury consistant à récupérer les programmes en français de la Laurentienne.

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