« Nous vivons un moment révolutionnaire » : des universitaires canadiens participent à une grève de deux jours contre le racisme

Les 9 et 10  septembre, des universitaires de partout au Canada ont interrompu leurs activités pour dénoncer le racisme envers les Noirs et les Autochtones au sein des forces de l’ordre. 

16 septembre 2020

Pendant deux jours, des universitaires canadiens ont posé leurs stylos et leurs livres, activé la fonction de réponse automatique de leurs courriels et ouvert sur leur ordinateur la page YouTube du mouvement Scholar Strike Canada qui relayait une série de séminaires animés par des professeurs noirs et autochtones, pour protester contre les récents assassinats de personnes noires et autochtones par les forces de l’ordre au Canada, aux États-Unis et ailleurs. 

« Nous vivons non seulement une pandémie et une crise économique, mais aussi une recrudescence des assassinats racistes de personnes noires et autochtones par les forces de l’ordre, qui témoigne à maints égards du racisme systémique de notre société, affirme la coorganisatrice de Scholar Strike Canada, Min Sook Lee. Nous vivons un moment révolutionnaire. »  

Inspirée par ces athlètes professionnels qui avaient refusé de jouer pour protester contre les assassinats de Noirs américains par la police, la première grève du mouvement s’est déroulée aux États-Unis les 8 et 9 septembre. Après avoir suggéré sur Twitter que les universitaires imitent ces athlètes, Anthea Butler, professeure agrégée de théologie et d’africanologie à l’Université de Pennsylvanie, a joué un rôle clé dans l’organisation de la grève.  

Au Canada, la grève des 9 et 10 septembre a été coorganisée par Mme Lee, professeure adjointe à l’École d’art et de design de l’Ontario, et par Beverly Bains, professeure d’études des femmes et des genres sur le campus de Mississauga de l’Université de Toronto. Selon Mme Lee, il était important que les universitaires canadiens participent à leur propre manifestation « pour dénoncer expressément le racisme systémique et structurel envers les Noirs et les Autochtones qui sévit au Canada ». Il était aussi important d’après elle que la grève ait lieu au début de l’année universitaire, « pour que tout ne recommence pas comme avant, après la reprise des cours à l’automne ». 

Étalée sur deux jours, la grève a donné lieu en ligne et en direct à plusieurs séminaires informels accessibles au public ainsi qu’à des conférences du journaliste et auteur Desmond Cole et de la fondatrice de Black Lives Matter Canada, Sandy Hudson. Divers séminaires hors ligne ont également eu lieu, entre autres à l’Université McGill, à l’Université Dalhousie et à l’Université de la Colombie-Britannique.  

Une capture d’écran lors de l’un des séminaires.

Destinées à sensibiliser un large auditoire au racisme systémique, les vidéos accessibles en ligne ont enregistré quelque 60000 vues en 48 heures. « Nous savions qu’en plus de cesser le travail, nous devions établir un lien avec la collectivité, la sensibiliser à ce qui se passe dans les rues, aux mouvements sociaux observés au pays et ailleurs », explique Mme Lee. Les séminaires tenus pendant la grève peuvent actuellement être visionnés par tous sur YouTube.  

On peut lire sur le site Web de Scholar Strike Canada que « les déclarations de solidarité, même si elles sont importantes, ne suffisent pas », et qu’il faut que les universitaires s’engagent à lutter activement contre toutes les formes de violence raciste. Ils doivent à cette fin s’engager à soutenir les revendications du milieu visant l’arrêt du financement de la police et la redistribution des ressources ainsi économisées, à appuyer les demandes de retrait des forces policières sur les campus, à dénoncer la sous-représentation des Noirs et des Autochtones parmi les professeurs des universités canadiennes, à créer des ressources axées sur la santé physique et mentale des étudiants ainsi qu’à veiller au maintien et à l’amélioration de ces ressources. 

Pour la professeure agrégée à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa et chercheure associée au Centre de recherche et d’enseignement sur les droits de la personne, Sylvie Paquerot, il tombait sous le sens de prendre part à cette grève universitaire dont le motif est la reconnaissance de la dignité humaine. « C’est très difficile dans nos cours d’enseigner cela [l’égale dignité humaine] et d’un autre côté quand, dans la vraie vie, il y a un enjeu, de ne pas prendre parti. » 

Celle-ci a choisi d’intégrer la question du racisme systémique dans la séance d’introduction des cours portant sur les organisations internationales et la gouvernance mondiale qu’elle enseigne aux 1er, 2e et 3e cycles. Elle a d’ailleurs pu constater l’étendue des réactions de ses étudiants par rapport à ce sujet. « C’était assez inégal. La conscience du fait que ce n’est pas seulement une problématique domestique aux États-Unis, mais que c’est une problématique transversale, n’est pas nécessairement compris par tous », explique Mme Paquerot avant d’ajouter que ça lui aura également permis d’illustrer les enjeux qu’elle abordera dans ses cours.   

Se sentant privilégiée en raison du mariage naturel entre les thématiques qu’elle enseigne et les visées de ce mouvement qui pose plus largement une question d’organisation du vivre ensemble, Mme Paquerot suggère aux professeurs qui voudraient s’y frotter de « refaire un peu d’histoire ». « Il y a des conceptions de la question de la discrimination systémique qui ne se sont pas transmises. Je pense que c’est notre boulot de le faire. C’est important que les collègues prennent le temps de resituer cette question-là sur le plan historique avec les étudiants. »  

Quant à savoir si ce mouvement aura les retombées escomptées, l’universitaire n’a aucun doute. Tout comme ses étudiants qui en ont longuement discuté lors de ses cours, la professeure estime qu’« il y a beaucoup plus de chances de peser sur les institutions dès qu’une question de discrimination est prise en charge plus largement que par le groupe visé par celle-ci ». À l’instar d’une vingtaine d’universités canadiennes, la direction de l’Université d’Ottawa a fait savoir à ses professeurs qu’elle soutenait les professeurs qui choisiraient de participer à cet événement. Pour Mme Paquerot, ce geste envoie le message que « notre établissement prend aussi sur ces épaules cette question-là ». 

Pour Mme Lee, coorganisatrice du mouvement Scholar Strikeles universitaires ont un rôle à jouer pour relever de grands enjeux de société et aider la société à progresser« La plupart des gens qui s’intéressent à ce qui se passe dans le monde à l’heure actuelle sont conscients que nous vivons un des mouvements pour les droits civiques les plus importants et marquants de notre époque, et que les universitaires et les universités ont un rôle à jouer. Notre travail n’est pas d’enseigner aux étudiants comment être compétents et efficaces, mais de les inciter à agir face aux problèmes sociaux de notre époque. » 

Avec la collaboration de Pascale Castonguay 

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