Paul Davidson à l’heure des bilans
Le président-directeur général d’Universités Canada s’apprête à clore un chapitre après 14 années vouées à la promotion des intérêts des universités canadiennes.
Après 14 ans passés à la présidence-direction générale d’Universités Canada (l’organisme qui publie Affaires universitaires), Paul Davidson a pris la décision de quitter ses fonctions le 30 juin 2023. À la tête de l’organisation, M. Davidson aura piloté une multitude de dossiers, allant du droit d’auteur à la liberté académique en passant par l’équité, la diversité et l’inclusion, sans oublier la pandémie. Il a accepté de revenir sur son passage à Universités Canada et de livrer ses réflexions quant aux enjeux à surveiller pour le milieu universitaire.
Revenons au 10 mai 2009. Quel était votre état d’esprit à la veille d’entrer en fonction à l’Association des universités et collèges du Canada (aujourd’hui Universités Canada)?
J’étais nerveux. Enthousiaste. Curieux. Je connaissais l’Association depuis quelque temps et j’avais certaines idées pour améliorer les façons de faire. Cela dit, je ne dirais pas que j’avais un plan décennal. J’avais un contrat de cinq ans : il fallait immédiatement me retrousser les manches. Et il était clair que les membres souhaitaient faire les choses différemment.
D’environ 1996-1997 à 2009, une campagne de promotion d’intérêts a été menée assidûment. Des investissements records en recherche, la création des Instituts de recherche en santé du Canada, la création et l’élargissement de la Fondation canadienne pour l’innovation en ont notamment découlé. Le milieu a connu une période soutenue d’investissement et de croissance, puis soudainement, le gouvernement Harper a mis la pédale douce. À ce moment, on cherchait avant tout à augmenter la participation financière aux coûts indirects de la recherche dans les universités. J’estimais que nous devions établir de nouvelles priorités qui répondraient à des enjeux émergents et qui démontrerait que les universités contribuent à bâtir un Canada fort. Il fallait montrer que les universités ne sont pas des tours d’ivoire, qu’elles forment plutôt une communauté qui tente de résoudre des problèmes et qu’elles font partie intégrante d’une démocratie saine.
C’est ainsi que j’ai pris la route en 2009 pour écouter. La première année, j’ai été sur la route 140 jours, soit presque sept mois.
Quel effet cela a-t-il eu sur votre vie à la maison? Vous aviez trois jeunes garçons à l’époque.
Ç’a fonctionné pour notre famille. Il est même arrivé que j’emmène les enfants avec moi. Les premières années, c’était très important que je me rende sur les campus. C’était une façon de reconnaître la diversité de nos membres : je passais du temps sur les campus des petits établissements comme des grands situés d’un bout à l’autre du pays. Certaines personnes disent que les universités du Canada ont toutes le même plan stratégique, la même vision, la même mission, et que si l’on mettait côte à côte toutes leurs brochures, on verrait exactement la même chose. Je ne suis pas du tout d’accord. J’estime que la diversité de nos membres est une force. C’est d’ailleurs pour cette raison que c’était si intéressant que les enfants m’accompagnent sur la route et qu’ils puissent voir ces différences. J’ai aussi pu apprendre à mieux connaître le milieu, et véritablement écouter les préoccupations des membres.
Quand on occupe un tel poste, il est dangereux de se restreindre à Ottawa et de se mettre à parler comme le gouvernement, car l’association n’est pas le gouvernement, elle est là pour faire valoir les intérêts de ses membres. Voilà pourquoi je tenais à prendre la route.
Si vous songez aux 14 dernières années, quel serait votre plus grand moment de fierté?
L’une des choses qui me rendent fier, c’est de constater que l’équipe d’Universités Canada, tout le personnel, a fait un travail remarquable dans des dossiers capitaux. Je pense par exemple à la santé mentale, qui n’était pas du tout au programme à mon arrivée. Il y a eu un moment d’une grande intensité à Victoria pendant des réunions printanières des membres, où Daniel Woolf (alors recteur de l’Université Queen’s) a dit : « Cinq suicides sont survenus sur mon campus cette année, que se passe-t-il? » C’était des années avant que la santé mentale devienne un sujet de discussion courant. Je suis vraiment fier de notre contribution à cet égard. C’est un travail qui se poursuit toujours d’ailleurs, car il n’y a jamais de fin.
La vérité et la réconciliation ont été un autre dossier important. Ralph Nilson (alors recteur de l’Université de l’île de Vancouver), dont le chancelier Shawn Atleo venait de devenir le chef national de l’Assemblée des Premières Nations, a demandé qu’on lui fasse prendre la parole à l’une de nos réunions. Après cela, les membres ont réclamé à l’unisson qu’on en fasse d’urgence une priorité nationale. Cela dit, il y a encore beaucoup de travail à faire, que nous envisageons avec humilité et en partenariat avec les peuples des Premières Nations, inuits et métis.
Je suis particulièrement fier du fait que le gouvernement fédéral se soit engagé en 2019 envers un nouveau programme de mobilité étudiante vers l’étranger afin de permettre aux étudiant.e.s canadien.ne.s de vivre une expérience à l’international. Universités Canada a été mandatée pour gérer ce programme en partenariat avec Collèges et Instituts Canada. Initialement, le programme devait être inauguré en avril 2020. La pandémie aurait pu l’empêcher de voir le jour, mais tout le monde a redoublé d’efforts et fait preuve d’ingéniosité pour arriver à le lancer. Les résultats sont impressionnants et nous souhaitons être en mesure de le rendre permanent.
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Un autre aspect pour lequel j’éprouve à la fois de la fierté et de la frustration est la proportion de femmes au rectorat. Celle-ci est passée de 17 à 32 % depuis mes débuts. Je ne dis pas que j’en suis la cause ou que l’organisation en est la cause. Mais Universités Canada s’est réunie au printemps 2015, et nous nous sommes dit qu’il fallait une action concertée.
Il y a aussi toute la question de l’excellence inclusive. Pendant longtemps, l’excellence s’est résumée très précisément au nombre d’articles de recherche publiés dans des périodiques de renom. C’est une mesure parmi d’autres, et c’est important. Toutefois, à Universités Canada, sur une période d’environ deux ans (avant que le gouvernement actuel s’intéresse à la question), nous avons redéfini l’excellence, articulant ce qui allait devenir nos Principes d’excellence en matière d’inclusion. Quand on pense à tout ce qui a changé depuis 10 ou 15 ans, c’est tout un virage. J’aimerais dire que rien n’est terminé. Ce n’est pas terminé, parce que le travail dans les universités se poursuit.
Vous avez montré la voie aux chefs d’établissement à une époque difficile : réforme du droit d’auteur, liberté académique, pandémie, racisme sur le campus, etc. Carburez-vous au défi ou s’agit-il simplement de remplir votre devoir?
À Universités Canada, nous avons toujours eu des gens formidables. C’est un travail d’équipe. Je dois avouer que c’est une formidable responsabilité que d’être un leader dans le milieu de l’enseignement supérieur. Beaucoup de choses dépendent de la réussite de ce secteur.
Plusieurs ont tendance à demander aux chefs d’établissements ce qui les garde éveillé.e.s la nuit, personnellement, j’aime bien aussi leur demander ce qui les pousse à sortir du lit le matin. Les sources de préoccupation étant infinies, je me demande : « Sur quoi allons-nous diriger nos efforts? » Ou encore : « Quelle voie emprunter pour provoquer des changements? » Et pour chaque défi rencontré, il faut se souvenir qu’on travaille avec des personnes brillantes et engagées à la fois en ce qui concerne les membres, soit les chefs d’établissement, et l’équipe d’Universités Canada.
La plupart des gens savent que vous êtes un grand lecteur. Quelle serait votre suggestion de lecture pour une personne qui fait ses débuts au rectorat?
C’est une très bonne question! Elizabeth Cannon (ancienne rectrice de l’Université de Calgary) a écrit deux livres sur le leadership. Ce qui est particulièrement intéressant, c’est que les propos sont transférables puisqu’il est question du leadership en général. D’un autre côté, le contexte est particulier, les universités étant des organisations uniques en leur genre. N’importe quel cadre du secteur privé ne tiendrait pas le coup comme rectrice ou recteur. Nous sommes différent.e.s. Ces livres cernent les valeurs fondamentales du leadership et renferment également quelques recommandations particulièrement utiles pour le milieu universitaire.
Plusieurs ont tendance à demander aux chefs d’établissements ce qui les garde éveillé.e.s la nuit, personnellement, j’aime bien aussi leur demander ce qui les pousse à sortir du lit le matin.
Que lisez-vous en ce moment?
J’ai toute une pile de livres sur ma table de chevet. J’espère l’entamer quand j’aurai terminé mon mandat. Certains portent sur la santé et le conditionnement physique, d’autres sur la foi et la spiritualité, particulièrement sous la forme d’un dialogue interconfessionnel. J’aimerais aussi revenir aux œuvres de fiction, un genre que je délaisse depuis quelque temps. Vous savez peut-être que j’affectionne particulièrement les livres jeunesse. [NDLR : Ces dernières années, M. Davidson a offert un livre aux membres du personnel d’Universités Canada ayant de jeunes enfants, souvent vers le congé des Fêtes.] J’espère que la tradition se poursuivra après mon départ. Si l’on songe à ce que nous faisons à Universités Canada, nous formons la nouvelle génération, nous racontons nos histoires. Dans cet esprit, j’aime bien donner un livre pour enfant chaque année.
Vous avez passé beaucoup de temps aux côtés de chefs d’établissement. Avez-vous remarqué des traits communs?
Je pense qu’il y a plus de diversité que ce que l’on pourrait penser. Il n’y a pas un seul style de leadership universitaire. Le leadership s’exprime différemment en contexte universitaire que dans les sphères gouvernementales ou privées. Par ailleurs, certaines personnes sont plus introverties qu’on le croirait. Cela dit, on sait que les introverti.e.s peuvent être de formidables leaders. Ce sont toutes des personnes exceptionnellement engagées envers leur établissement et leur communauté, accomplies, qui viennent travailler dans la bonne humeur, et qui savent diriger des organisations dynamiques à la gouvernance complexe. C’est toujours un plaisir d’assister à nos réunions du conseil d’administration parce qu’on y trouve des personnes brillantes et investies qui tentent de résoudre des problèmes.
Diriger une organisation bilingue est une difficulté en soi. En 14 ans, beaucoup a été fait pour mieux représenter les membres francophones. À quel point est-ce important pour une organisation bilingue d’atteindre l’équilibre dans la représentation des membres anglophones et francophones?
Quelle bonne question. J’aimerais d’abord préciser que ce n’est pas une difficulté, mais un atout. J’en suis fondamentalement convaincu. Le Canada étant un pays diversifié, ses organisations se doivent de l’incarner. J’ai toujours vu cela comme un atout, et non comme une difficulté ou un fardeau.
Pour ce qui est de l’équilibre, puisqu’Universités Canada agit comme porte-parole à l’échelle fédérale et non provinciale, ce sont des questions courantes. En toute honnêteté, cela rend mon travail plus facile que pour certain.e.s de mes homologues des provinces. Comme on s’intéresse aux grands enjeux et aux enjeux transversaux, il s’agit non pas d’aborder le plus petit dénominateur commun, mais bien de communiquer les plus grands facteurs communs. Pour moi, qu’Universités Canada soit une organisation bilingue est une grande source de fierté, et quelque chose qu’il ne faut jamais perdre de vue.
Quel aspect de votre travail vous manquera particulièrement?
L’enseignement supérieur est beaucoup marqué par les saisons. J’adore la période de remise des diplômes pour voir la joie illuminée le visage des étudiant.e.s et être témoin de leur épanouissement. Les cérémonies me manqueront. La rentrée me manquera aussi : c’est une période d’effervescence où tout le monde se demande ce que l’année leur réservera.
Votre mandat se termine le 30 juin. Que ferez-vous cet été?
Ma femme, Elly Vandenberg, qui travaille au Programme alimentaire mondial des Nations Unies, doit parfois faire des voyages d’affaires. Or, mon travail ne m’a pas permis jusqu’ici de l’accompagner. Je planifie donc me rendre avec elle à Rome cet été ou cet automne. Nous assisterons également à quelques mariages dans la famille, de beaux moments à venir. Pour finir, mes fils, qui sont maintenant adultes, organisent chaque année un voyage familial en canot. J’adore ça. Ils louent les canots et tout le matériel nécessaire, tracent l’itinéraire, préparent les repas pour les six journées et font la course les uns avec les autres lors des portages. C’est vraiment agréable.
À votre avis, quels sont les plus grands défis des universités à l’heure actuelle?
Ce fut toujours le cas, mais c’est encore plus vrai aujourd’hui : la viabilité financière. Nous venons de traverser une décennie sans nouvel investissement gouvernemental, et ce, dans un contexte marqué par les attentes croissantes à l’égard des universités en matière de santé mentale, de vérité et de réconciliation, d’apprentissage par l’expérience, d’excellence inclusive, etc. Personne ne demande aux universités d’en faire moins. Dans la dernière décennie, les étudiant.e.s de l’étranger ont grandement contribué à combler l’écart budgétaire. Mais les choses changent. Leurs pays d’origine renforcent leurs systèmes d’enseignement supérieur respectifs et deviennent des concurrents pour le Canada, ce qui fait en sorte que ces étudiant.e.s ne peuvent plus représenter une solution pour assurer la viabilité financière des universités canadiennes. L’autonomie institutionnelle constitue un autre enjeu permanent. On le voit en ce moment au Canada. On voit aussi les gouvernements provinciaux s’immiscer dans la gouvernance universitaire.
Dans une entrevue avec l’ancien rédacteur en chef d’Affaires universitaires, Léo Charbonneau, en janvier 2009, vous disiez que vous n’avez jamais eu de plan de carrière : « Chacune de [m]es expériences [m]’a naturellement mené vers la suivante. » Cela étant dit, après 14 années auprès d’Universités Canada, quelle est la prochaine étape?
J’ai toujours ce même état d’esprit : je n’ai pas de plan. Je compte employer les six à 12 prochains mois à lire comme je le souhaite, à faire du sport, à voyager un peu. Je compte réfléchir à mon parcours jusqu’ici et à ce qui m’attend pour la suite. J’ai toujours été motivé par les nouvelles idées, les nouveaux projets et les contributions que je pouvais réaliser.
Mon conseil à la personne qui me succédera : aimez chaque instant. Sachez que vous êtes entre bonnes mains. Je le pense vraiment quand je dis que le personnel est excellent et que l’équipe dirigeante est forte, dynamique et diversifiée. L’association peut aller loin.
Il y a encore à faire, mais ce sera le rôle de la personne qui me succédera. Je me dis que s’il y a quelque chose que je n’ai pas fait au bout de 14 ans, il y a peu de chance que je le fasse l’année suivante. C’est donc l’heure de céder ma place.
Que serait-on étonné d’apprendre à votre sujet?
J’aime beaucoup la musique country, surtout les classiques. J’adore écouter des spectacles de musique; j’ai d’ailleurs été ravi que RedBird ouvre ses portes à Ottawa. Les gens seront peut-être surpris d’apprendre que je ne peux pas me passer de la CBC. Quand je ne pouvais voyager, pandémie oblige, j’ai pris goût à utiliser l’application CBC Listen. J’écoutais des émissions de partout au pays pour savoir ce qui se passait. Je suis devenu un fidèle auditeur d’une émission qui joue les samedis et dimanches dès 5 h à Halifax.
Diriez-vous que vous avez pu accomplir tout ce que vous souhaitiez pendant votre mandat à Universités Canada?
Je pense que j’ai accompli tout ce que j’ai pu. Il y a encore à faire, mais ce sera le rôle de la personne qui me succédera. Je me dis que s’il y a quelque chose que je n’ai pas fait au bout de 14 ans, il y a peu de chance que je le fasse l’année suivante. C’est donc l’heure de céder ma place.
À votre avis, quels enjeux le milieu de l’enseignement supérieur devra-t-il aborder au cours des cinq prochaines années?
C’est une question intéressante, parce que si l’on considère les enjeux abordés par Affaires universitaires au cours des 60 dernières années, on constate qu’il y a des enjeux permanents. Je pense que l’autonomie sera une question importante, tout comme la polarisation de la culture. Au Canada, on aime dire que ce qui se passe aux États-Unis ne pourrait jamais survenir ici, mais la polarisation est bien réelle et il existe un risque que les universités soient entraînées dans celle-ci malgré elle. Nous verrons ce qu’il en ressortira aux États-Unis, mais j’espère que nous saurons trouver des stratégies pour protéger les universités canadiennes d’un pareil avenir.
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