Le travail, la nouvelle retraite!

La retraite flexible ou graduelle est de plus en plus populaire. Les motivations sont nombreuses pour rester sur le marché de l'emploi mais un fait demeure: l'État ne s'est pas ajusté à cette nouvelle réalité.

29 janvier 2020

Cet article a été publié à l’origine sur le site Web La Conversation. Lisez le texte original.

Aujourd’hui, la frontière entre le travail actif et la retraite ne va plus de soi. Elle est devenue plus perméable.

Quitter un emploi occupé durant de nombreuses années à un âge traditionnellement associé à celui de la retraite, et prendre sa retraite tel qu’on l’entend communément, à savoir toucher une pension et arrêter définitivement toute activité rémunérée, dure parfois quelques années, avec de plus en plus de périodes d’alternance.

Le passage vers une retraite complète est devenu complexe.

Ces retours en emploi se situent dans un contexte où les États cherchent à favoriser le vieillissement actif, à la fois pour des raisons de santé, mais aussi pour assurer des revenus plus importants aux personnes âgées et éviter qu’elles ne dépendent que des régimes publics .

En effet, les montants offerts par ces régimes sont limités en Amérique du Nord. Leur pérennité est parfois évoquée pour inciter au maintien et au retour en emploi.

C’est ainsi que la retraite flexible ou graduelle est devenue de plus en plus populaire au fil des ans.

Les travaux de mon équipe se sont penchés sur les caractéristiques de ces travailleurs post-retraite et leurs motivations. Nous avons conduit une recherche auprès de 93 retraités québécois, à la fois quantitative, en ligne, puis qualitative, par entrevues.

Des gens instruits et satisfaits

Tant les hommes que les femmes ont démontré de hauts degrés de satisfaction envers leur emploi et leur carrière. Les hommes sont toutefois plus enthousiastes que les femmes, pour la plus grande partie des énoncés.

Par exemple, 62 pour cent d’entre eux étaient globalement satisfaits de leur emploi avant la retraite, contre le tiers des femmes. Ils sont moins nombreux qu’elles à penser quitter leur emploi.

Nos résultats montrent aussi que les hommes accordent plus d’importance au travail que les femmes. Il s’agit d’une valeur importante aux yeux de ces dernières, mais près de 19 pour cent d’entre elles estiment que le travail ne constitue qu’une petite partie de la vie d’un individu, contre seulement 5,1 pour cent des hommes. Aucune femme ne croit par ailleurs que les objectifs personnels d’un individu devraient être de nature professionnelle, contre 10,2 pour cent des hommes.

Par ailleurs, le travail et la profession représentent une grande source de fierté et d’estime de soi tant pour les hommes (41 pour cent) que les femmes (30 pour cent). Le travail est cependant davantage une source d’interaction sociale pour les hommes et il les empêche de se sentir seul (56,4 pour cent contre 37 pour cent).

Les répondants ont aussi une haute estime d’eux-mêmes et de leurs capacités professionnelles. Ils se disent aussi en santé, ce qui permet plus facilement d’envisager le retour en emploi.

Pas pour l’argent

Pourquoi retournent-ils travailler?

Les considérations financières sont loin d’être leur principale motivation. Seulement 37 pour cent des femmes et 31 pour cent des hommes l’invoquent. Le facteur le plus déterminant? S’être fait offrir un emploi intéressant. Les hommes recherchent un défi et désirent apporter une contribution. Bon nombre continuent de travailler pour se tenir occupés (59 pour cent), davantage que les femmes (31,5 pour cent). Peu mentionnent être retournés en emploi parce qu’ils n’aimaient pas la retraite.

D’autres études montrent qu’une partie des travailleurs vieillissants – surtout les 65 ans et plus, soit au-delà de l’âge « normal » de la retraite – optent pour le travail autonome, qu’ils aient été ou non travailleurs autonomes durant leur carrière.

La proportion de travailleurs autonomes augmente en effet de manière frappante avec l’âge et devient une option intéressante par rapport au travail à temps partiel.

Mentionnons quelques limites de cette recherche, notamment l’échantillonnage réduit. Cependant, comme le sujet est relativement nouveau, l’étude apporte tout de même des données intéressantes.

L’État doit prendre acte et agir

Ces résultats permettent de mieux cerner le profil de ces travailleurs post-retraite. Ce sont majoritairement des cols blancs, qui ont un niveau d’éducation et de salaires relativement élevés. Ils ont une perception globalement positive de leur situation financière.

Ce n’est pas la réalité de tous les travailleurs vieillissants québécois, tant s’en faut : des sondages des institutions bancaires indiquent qu’un bon pourcentage (environ 40 pour cent) des personnes retournant à l’emploi après la retraite le font pour des motifs financiers. Notre étude montre que d’autres motifs que l’argent incitent certains à continuer de travailler après la retraite et de fait, ils seraient majoritaires.

Un plus grand nombre seraient motivés à retourner travailler si les entreprises favorisaient davantage la conciliation emploi-retraite, par des mesures d’aménagement du temps de travail notamment. Des programmes publics pourraient d’ailleurs favoriser cette meilleure conciliation.

Il faut par contre prendre garde au risque d’accroissement des inégalités. Si la tendance des travailleurs qui prennent leur retraite plus tard, ou retournent au travail, venait à s’instituer, quelles seraient les conséquences pour les personnes en moins bonne santé ou simplement celles qui n’ont plus aucune motivation à travailler ?

Ce questionnement nuance l’idée que le travail après la retraite soit un modèle pour tous. Pour l’instant, le phénomène est encore marginal, mais sa croissance continue depuis quelques années nous pousse à nous y intéresser.

L’État ne devrait pas tenter de prolonger l’activité des personnes par un décalage de l’âge « normal » de la retraite de 65 à 67 ans, mais plutôt chercher dans les conditions de travail les motifs de départ et tenter de corriger ces éléments.

Cela pourrait se faire par l’introduction de plus de flexibilité au travail, dans les horaires, ou par le télétravail. Ces conditions n’existent pas dans tous les milieux de travail, mais elles ont été mentionnées comme intéressantes pour prolonger l’activité dans les commentaires que nous avons reçus.

D’autres travaux confirment cet intérêt des salariés pour une plus grande flexibilité du travail en fin de carrière . Aussi, le fait d’offrir des programmes publics permettant de concilier travail et retraite, ou encore des conditions fiscales plus avantageuses pourrait favoriser le maintien, tout comme le retour en emploi.

Les politiques publiques pourraient s’intéresser davantage au stress au travail, à l’épuisement professionnel et aux raisons pour quitter le marché du travail afin d’offrir les conditions qui favorisent la poursuite de la carrière.

Ce sont là autant d’avenues à envisager dans un contexte où l’État souhaite prolonger la vie active, mais sans nécessairement prendre en compte les conditions de travail tout au long de la vie.

Diane-Gabrielle Tremblay, est une professeure à l’Université TELUQ, Université du Québec, directrice de l’ARUC sur la gestion des âges et des temps sociaux et de la Chaire de recherche du Canada sur l’économie du savoir, Université TÉLUQ.

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