Pipes

À l’instar des autres universités canadiennes, l’Université de Sherbrooke est engagée dans un processus de longue haleine en faveur de l’amélioration des pratiques d’équité, de diversité et d’inclusion (ÉDI) sur ses campus. Dans ce cadre, l’équipe du vice-décanat à la recherche de l’École de gestion souhaitait apporter sa contribution et s’impliquer concrètement en offrant une activité de sensibilisation à l’intention de sa communauté facultaire. Récit d’un projet hors du commun!

Quelle forme donner à cette activité? Les « ateliers ÉDI » qui fleurissent un peu partout dans le milieu universitaire nous fournissaient une pléthore d’exemples à suivre…ou pas! Puisque la participation à un atelier est volontaire, nous avons cru que ce format risquait de ne rejoindre par défaut que les membres de la communauté qui sont déjà convaincus de la pertinence de la mise en œuvre des pratiques ÉDI en milieu universitaire. Comment alors sensibiliser notre communauté efficacement?

La métaphore du tuyau percé (leaky pipeline) comme fil conducteur

Une de nos certitudes était que nous souhaitions focaliser l’activité sur les obstacles systémiques à la diversité, dont le concept forme la clé de voûte et la justification terminale dans l’argumentaire en faveur de l’implantation des processus ÉDI dans le milieu universitaire. Ce choix nous paraissait posséder une vertu pédagogique (en particulier dans notre contexte québécois, là où l’utilisation du mot « systémique » s’accompagne invariablement d’une réaction épidermique chez une partie de la classe politique…), susceptible d’éclairer la réflexion facultaire. Mais quel véhicule utiliser pour éviter un traitement purement scolaire des enjeux qui y sont associés?

La notion d’obstacle systémique est fréquemment illustrée par la métaphore du tuyau qui fuit, représentant le cheminement inégal de certains groupes (par ex., femmes, minorités) à travers le parcours universitaire, des études supérieures jusqu’à la promotion au rang de professeur.e titulaire. Le tuyau est dit « fuyant » parce que l’attrition chez les personnes candidates à la profession est disproportionnée parmi ces groupes, ce qui suggère qu’ils font face à des obstacles indus, généralement inaperçus et involontaires, mais intégrés dans un ensemble de pratiques individuelles, organisationnelles, disciplinaires, etc.

Nous venions de trouver notre fil conducteur!

Ce fil conducteur présente la vertu de pouvoir être facilement spatialisé. L’idée germe alors d’organiser notre activité de sensibilisation sous la forme d’une exposition scientifique éphémère, où les visiteurs se déplaceraient en suivant un parcours au sol, soit une représentation du tuyau percé. Au long du parcours seraient représentés les goulots d’étranglement qui font « fuir » le pipeline (obstacles au recrutement, à la rétention et à la progression dans la carrière universitaire). Les lieux de « sorties » dirigeraient physiquement les personnes visiteuses vers des affiches qui documentent les obstacles systémiques prévalents selon le stade d’avancement en carrière (par ex., isolement professionnel chez les professeur.e.s adjoint.e.s).

L’activité illustrerait les obstacles systémiques de manière concrète, statistiques et données à l’appui. Pour maximiser la force de persuasion de l’exposition, il nous semblait primordial que les données présentées soient représentatives de notre contexte (québécois, disciplinaire, etc.) – ce qui impliquait certaines recherches préalables –, afin qu’elles « parlent » à notre communauté, pour se défaire du préjugé – parfois tenace en sciences humaines et sociales – que l’ÉDI, « c’est juste une affaire de science et génie ».

Une longue marche vers la réalisation

Voilà un bien beau concept…en théorie! Notre équipe n’ayant aucune expérience préalable en muséologie, notre projet nous paraît en rétrospective avoir bénéficié de conditions favorables qui en ont facilité la réalisation. La condition primordiale – nulle surprise ici – est celle de la disponibilité des ressources (humaines, matérielles, financières), notamment : que notre faculté dispose des ressources professionnelles nécessaires pour la production du contenu et la gestion du projet ; que le vice-décanat à la recherche accepte d’allouer les ressources financières nécessaires à la réalisation matérielle (impression, graphisme) de l’exposition ; et que nous disposions d’un lieu d’exposition adéquat (et disponible). Sur tous ces aspects, À ce niveau, le soutien de notre direction facultaire et du Secrétariat à la condition féminine du Québec s’est avéré décisif dans la poursuite du projet.

Certaines de ces conditions sont par ailleurs déterminantes. Dans les facultés où les ressources professionnelles ne sont pas disponibles ou absorbées par la gestion opérationnelle au quotidien, la réalisation de notre projet aurait rapidement été compromise.

Par un mélange de chance et d’opportunisme, nous pouvions aussi compter sur les résultats d’une recension des écrits sur les obstacles systémiques en sciences de la gestion accomplie en 2020 dans le cadre du soutien à une demande de subvention de grande envergure. En réutilisant les résultats de cette recension dans le contexte de l’exposition, le fastidieux travail de recherche se trouvait donc limité.

Avec un peu de créativité, les contraintes budgétaires peuvent elles aussi être aplanies. Quelques compromis au niveau des matériaux, par exemple, nous ont permis de réduire considérablement la facture d’impression. Le programme de commandite du Secrétariat à la condition féminine du Québec nous a également aidés à boucler la part incompressible de notre budget – des frais de graphisme essentiellement.

Retombées

Alors que l’exposition se clôt, avons-nous gagné notre pari? Puisque l’exposition avait lieu dans un endroit public et librement accessible, nous n’avions pas de moyen simple d’en mesurer la fréquentation. Les échos informels – massivement positifs – obtenus de la part de collègues suggèrent que l’exposition a atteint son objectif de sensibilisation, mais la portée de ce constat est limitée, et sa fiabilité faible, en raison d’un probable biais de sélection. Leçon apprise pour la prochaine fois…

Compte tenu du caractère éphémère de la manifestation (21 jours), l’investissement (temps, énergie, fonds) en valait-il la peine? Ne serait-ce que pour les discussions de corridor impromptues générées par l’exposition et pour la réponse enthousiaste de la communauté, la réponse ne fait pas de doute pour nous. Il n’en reste pas moins que le concept retenu pose un enjeu de pérennisation évident. Heureusement, notre exposition éphémère peut facilement être transformée en exposition itinérante; déjà, une autre faculté de l’Université de Sherbrooke a témoigné son intérêt pour accueillir l’exposition en ses murs. Et pourquoi ne pas en profiter pour la transformer en exposition numérique? Idée anodine, lancée au détour d’une conversation avec un membre de la direction universitaire, mais qui déjà résonne pour nous comme un nouveau défi irrésistible!

Maxime Plante est professionnel de recherche rattaché au vice-décanat à la recherche de l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke; Julie Frédette est professionnelle de recherche rattachée au vice-décanat à la recherche de l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke; Amélie Bourbeau est directrice adjointe à la recherche à l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke; et Claudia Champagne est vice-doyenne à la recherche de l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke.

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