Les cas de harcèlement sexuel au travail révélés depuis six mois grâce au mot-clic #MoiAussi ont de quoi nous faire crier au scandale. Comment aborder un problème d’une telle ampleur?
En tant que recteur, cet enjeu est plus qu’une préoccupation passagère pour moi. Je suis responsable de l’environnement de travail de plus de 1 000 personnes, qui ont à leur tour une influence sur la vie des quelque 10 000 étudiants qui suivent chaque année des cours à l’Université Royal Roads.
À mesure que le mouvement #MoiAussi prend de l’ampleur, il devient manifeste que le secteur de l’éducation postsecondaire n’en a pas fait assez pour promouvoir le respect, la dignité et l’équité dans ses programmes. Nous ne devons pas nous contenter de parler de lieux de travail respectueux : il faut adopter des politiques et des pratiques qui modifieront la culture de nos établissements.
Alors que j’envisage un retour à l’enseignement l’an prochain, je suis frappé par la férocité de la concurrence pour attirer des candidats hautement qualifiés. Le personnel est l’atout le plus important d’un établissement, et il est impossible de retenir des employés talentueux dans un milieu toxique.
Seize ans se sont écoulés depuis mon premier poste de direction dans le milieu universitaire, et je ne peux que constater que les choses ont bien peu changé depuis mes propres recherches sur le leadership, il y a plusieurs décennies. En 1980, à l’Université de Calgary, j’ai amorcé, avec ma défunte collègue Julie Rowney, une étude longitudinale afin de comparer l’expérience des gestionnaires de différentes organisations. Jusqu’en 2000, nous avons suivi, tous les cinq ans, le parcours d’hommes et de femmes occupant des postes de superviseurs, de gestionnaires et de directeurs. Nous avons comparé des aspects comme les processus décisionnels et la conception du leadership et des communications.
Nous avons constaté que, par rapport à des mesures de rendement objectives, les hommes et les femmes avaient des comportements similaires, qui étaient pourtant perçus différemment par autrui. En conséquence, les femmes étaient traitées différemment et beaucoup moins respectées que leurs collègues masculins. Nous avons publié nos travaux de recherche et nous en sommes inspirés pour concevoir des programmes de leadership à l’intention des femmes.
Malheureusement, en 2015, j’ai été forcé de constater que la situation n’avait pas beaucoup évolué. À l’occasion du 75e anniversaire de l’Université Royal Roads, nous avons organisé une conférence sur les instigatrices de changements. Des chefs de file des milieux de l’éducation, de l’industrie et de la politique sont venues parler de la façon dont elles continuaient d’être traitées différemment des hommes, en particulier aux échelons supérieurs.
Ces écarts étaient souvent subtils : elles racontaient avoir été ignorées pendant des réunions, avoir été victimes de préjugés ou devoir répondre à des attentes plus élevées en matière de leadership. Leurs récits m’ont laissé une étrange impression de déjà-vu. Ils étaient identiques à ceux que nous avions recueillis dans le cadre de notre étude longitudinale.
Comment était-il possible que rien n’ait changé? Il semble que dans nos entreprises, bien peu aient compris que la contribution des femmes dans le monde est tout aussi importante que celle des hommes.
Le mouvement #MoiAussi a mis au jour une sombre réalité, mais il aura aussi eu pour effet de mettre en lumière certains problèmes de longue date qui pourront à présent être réglés. Je vois cependant l’inévitable contrecoup de ces dénonciations se dessiner. Alors que des journalistes soutiennent n’avoir jamais été victimes ou témoins de telles formes de harcèlement, je crois qu’il est temps pour le milieu universitaire de parler haut et fort des constatations de ces travaux de recherche.
Au risque de paraître condescendant, je dirais qu’au long de mon parcours universitaire, je constate une misogynie organisationnelle depuis des décennies. Bien sûr, ce ne sont pas toutes les femmes qui sont victimes de comportements dégradants ou de harcèlement. De même, tous les hommes ne sont pas coupables. Malgré tout, le problème est de toute évidence répandu et, comme en témoignent les récents gros titres, tenace.
En tant qu’universitaires, nous détenons les outils appropriés pour acquérir des connaissances sur le sujet et enseigner des idées porteuses de solutions. Alors que je m’apprête à reprendre l’enseignement, je sais que le mouvement #MoiAussi transformera ma façon de parler du leadership.
À titre d’exemple, les derniers travaux de recherche suggèrent que des préjugés inconscients influencent nos attitudes. Je recommanderai donc à mes étudiants de se soumettre au test d’association implicite créé par des psychologues de l’Université Harvard, de l’Université de Virginie et de l’Université de Washington pour prendre conscience des préjugés insidieux entretenus à l’égard de l’origine ethnique, du sexe et de l’orientation sexuelle. Les résultats serviront à orienter les discussions sur l’adoption des principes d’excellence en matière d’inclusion en classe. Je vous invite d’ailleurs à faire le test, vous aussi!
Bien sûr, les efforts d’un seul chargé de cours ne révolutionneront pas le monde. Mais songez à ce que nous pourrions faire si nous étions plus nombreux à consacrer au moins une partie de nos travaux à combattre les facteurs qui ont déclenché le mouvement #MoiAussi. Personnellement, je crois que la population qui soutient nos établissements mérite mieux que des paroles – et sûrement bien mieux que le silence.