Ce n’est pas la nouvelle que le secteur canadien de l’éducation internationale espérait, mais l’annonce du gouvernement fédéral concernant la baisse du plafond de permis d’études l’an prochain a offert aux établissements d’enseignement une clarté plus que nécessaire, affirment les têtes dirigeantes du milieu.
Le 18 septembre dernier, le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Marc Miller, a indiqué que le plafond pour les demandes de permis d’études cette année – le premier en son genre – est « là pour rester », et qu’il sera à nouveau réduit de 10 pour cent en 2025. Le seuil restera le même en 2026. Les étudiantes et étudiants à la maîtrise et au doctorat, auparavant exemptés du plafond, feront désormais partie du décompte, mais se verront réserver 12 pour cent des places accordées.
« Nous aurions préféré que le plafond ne baisse pas encore, admet Larissa Bezo, présidente et chef de la direction du Bureau canadien de l’éducation internationale. D’un autre côté, les établissements ont maintenant un cadre pour les deux prochaines années. On sait combien de places seront disponibles en 2025, et on sait que ce chiffre sera maintenu en 2026… Les établissements peuvent donc faire leur planification sur un horizon élargi. »
Les changements s’inscrivent dans le cadre d’un vaste plan du gouvernement libéral visant à réduire le nombre de résidentes et résidents temporaires de 6,5 à cinq pour cent de la population canadienne au cours des trois prochaines années. Les personnes de l’étranger aux études ou récemment diplômées formaient presque la moitié des 2,5 millions de résidentes et résidents temporaires en 2023.
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Le programme de résidence temporaire a grandement contribué à la croissance du pays, a indiqué le ministre Miller en salle de presse à Ottawa, mais le gouvernement a permis certains excès qui ont probablement duré « plus longtemps que nécessaire ».
De nouvelles mesures ont été annoncées, notamment des exigences en matière de compétences linguistiques pour les demandes de permis de travail postdiplôme effectuées à partir du 1er novembre, ainsi que la limitation de l’admissibilité au permis de travail pour les conjointes et conjoints d’étudiantes et d’étudiants de programmes de maîtrise à celles et ceux dont le programme est d’une durée d’au moins 16 mois. Les personnes diplômées des programmes de baccalauréat, de maîtrise et de doctorat demeureront admissibles à un permis de travail d’une durée maximale de trois ans, précise M. Miller. « Ces [personnes] sont plus susceptibles d’acquérir des connaissances et des compétences transférables et d’être en mesure de s’adapter à l’évolution de la situation économique à long terme. » Les diplômées et diplômés des établissements d’enseignement supérieur ne pourront toutefois obtenir un permis de travail que si leur domaine d’études est lié à des pénuries de main-d’œuvre à long terme, ce qui devrait entraîner une diminution d’environ 175 000 permis.
En janvier dernier, M. Miller avait annoncé que le plafond d’admission en vertu des permis d’études serait établi à 360 000 en 2024, par le biais de seuils imposés aux demandes de permis dans les établissements d’enseignement supérieur de chaque province. On s’attend à ce que le nombre de demandes acceptées atteigne 485 000 cette année, en comptant celles des étudiantes et étudiants à la maîtrise et au doctorat, et 437 000 l’an prochain, lorsque le seuil sera rabaissé. En tout et pour tout, on prévoit que ces changements entraîneront une réduction d’environ 300 000 titulaires de permis d’études au cours des trois prochaines années, explique M. Miller.
« Autrement dit, le plafond pour les [étudiantes] et étudiants étrangers est là pour rester », affirme-t-il tout en reconnaissant qu’il s’agit d’une période mouvementée pour les établissements d’enseignement supérieur, dont il a entendu le besoin de prévisibilité.
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Gabriel Miller, président-directeur général d’Universités Canada (qui publie Affaires universitaires), a commenté la nouvelle en indiquant que « tout n’est pas noir » et qu’« on a un portrait clair des choses. On connaît les cibles gouvernementales pour les deux prochaines années et les règles qui les encadreront. »
Toutefois, « le gouvernement n’a toujours pas abordé le plus important : un plan béton pour rétablir la réputation du Canada, entachée par le plafond instauré plus tôt cette année. »
Une inquiétude partagée par le Conseil des universités de l’Ontario (CUO), qui prône l’établissement de politiques publiques susceptibles d’attirer les étudiantes et étudiants étrangers de talent.
« Tout changement qui crée de l’incertitude ou qui complexifie la venue au Canada des esprits les plus brillants a de quoi inquiéter », souligne Steve Orsini, président-directeur général du CUO. L’organisation aimerait que les universités ontariennes obtiennent tout le quota des permis d’études à la maîtrise et au doctorat de la province et qu’elles conservent leur part de permis au baccalauréat, soit 16 pour cent des permis alloués à l’Ontario.
D’après M. Miller, Universités Canada s’attend à ce que même en 2024, les inscriptions d’étudiantes et étudiants étrangers « chutent bien plus que prévu ». C’est à se demander pourquoi le gouvernement fédéral a décidé de rabaisser son plafond encore une fois. Mme Bezo observe que même si elle n’était pas nécessaire, la mesure s’inscrit dans un climat politique incitant fortement les libéraux à faire baisser le nombre de résidentes et résidents temporaires, qui a explosé pendant des années.
« Même une baisse de 10 pour cent peut avoir un effet important sur l’image du gouvernement fédéral : elle montre une volonté de continuer à prendre la situation en main », explique-t-elle.
Elle ajoute que le secteur doit maintenant faire savoir au monde entier que le Canada est toujours une destination de choix pour les études, tout en rappelant « la grande importance pour le pays des talents venus d’ailleurs ».
Le secteur doit « collaborer pour souligner cette valeur, tant à l’échelle nationale qu’internationale, insiste-t-elle. Chaque personne du milieu a son rôle à jouer. »
Collèges et instituts Canada, qui rassemble 138 collèges et instituts de partout au pays, a déclaré que le plafond annoncé pour 2025 et 2026 permet de se « préparer […] pour les prochaines années ». L’organisme ajoute toutefois qu’avec l’obligation pour les étudiantes et étudiants étrangers d’obtenir un diplôme collégial lié à un programme qui répond à la pénurie de main-d’œuvre pour être admissibles au permis de travail postdiplôme, les collèges seront obligés d’harmoniser leur offre avec les cibles nationales en matière de main-d’œuvre plutôt qu’avec les besoins locaux, ce qui causera « un tort considérable, tout particulièrement aux collectivités locales ».
L’annonce et les changements apportés démontrent que le gouvernement fédéral reconnaît la valeur économique des étudiantes et étudiants étrangers formés dans une université canadienne, affirme M. Miller. Cependant, « il reste beaucoup à faire et il faut absolument que le gouvernement fasse front commun avec le secteur pour confirmer au reste du monde que le Canada veut bel et bien faire partie de la course aux talents ».
L’organisme ajoute toutefois qu’avec l’obligation pour les étudiantes et étudiants étrangers d’obtenir un diplôme collégial lié à un programme qui répond à la pénurie de main-d’œuvre pour être admissibles au permis de travail postdiplôme, les collèges seront obligés d’harmoniser leur offre avec les cibles nationales en matière de main-d’œuvre plutôt qu’avec les besoins locaux, ce qui causera « un tort considérable, tout particulièrement aux collectivités locales ».