Science en français : sus aux distorsions !
Entre biais linguistiques, indicateurs contestés et concentration des fonds, la recherche en français peine encore à trouver sa juste place.
Il existe des pistes pour régler l’épineuse question de l’iniquité linguistique dans le système de financement fédéral de la recherche, affirment des chercheurs et chercheuses entendus récemment par le Comité permanent de la science et de la recherche de la Chambre des communes.
Par exemple, les politiques d’équité, de diversité et d’inclusion (EDI) en recherche pourraient inclure la diversité linguistique. De plus, la publication annuelle des taux de succès des demandes de subvention, détaillés notamment selon la langue, pourrait être exigée. Il serait même possible de réserver des enveloppes aux scientifiques francophones afin d’assurer une répartition plus équitable des fonds de recherche.
Pour rappel, ce même comité avait déjà commis un rapport sur la question lors de la précédente législature, en 2023. On y apprenait entre autres que « la proportion de demandes de financement soumises en français aux trois conseils subventionnaires canadiens […] est nettement inférieure au poids démographique des chercheurs francophones », ce qui contrevient aux obligations de la Loi sur les langues officielles.
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Un système biaisé
Ce déséquilibre prend en partie racine dans des préjugés linguistiques qui s’immiscent de manière insidieuse dans le processus d’évaluation des demandes de subvention. « On nous a déjà dit [lors de consultations sur le sujet NDLR] que la recherche en français était moins objective parce qu’elle correspondait à un choix politique », a par exemple fait valoir Martin Normand, PDG de l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne.
Il a en outre regretté la faible capacité linguistique de certains évaluateurs qui, pourtant, affirment maîtriser le français. Conséquence : des chercheuses et chercheurs francophones reçoivent des rapports d’évaluation truffés de suggestions farfelues, voire non pertinentes. « De toute évidence, les demandes avaient été mal comprises », a-t-il raconté devant les membres du Comité.
La manière d’évaluer la science à l’aide d’indicateurs comme des facteurs d’impact a également été pointée du doigt. À ce propos, Vincent Larivière, professeur à l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information de l’Université de Montréal, a déploré la tendance de certains membres de comités d’évaluation à « sortir des indicateurs de leur chapeau ». Or, comme ces comités sont souvent souverains, leurs décisions ne peuvent être contestées.
Cette habitude a pour conséquence de favoriser les publications scientifiques de langue anglaise, perçues comme plus prestigieuses que des publications dans d’autres langues. « Il faut admettre que ça apporte une dynamique particulière dans l’équilibre linguistique du Canada, a-t-il souligné. Il faut voir le français comme étant un avantage pour la communauté scientifique canadienne, pas comme un handicap. »
Les dynamiques de financement actuelles, parce qu’elles répliquent celles du passé, perpétuent les inégalités linguistiques. Cela se vérifie par exemple par l’entremise de l’accaparement, dans les deux dernières décennies, des trois quarts des fonds de financement de la recherche au Canada par le regroupement des 15 plus grandes universités de recherche du Canada (U15 Canada), dont 13 sont anglophones.
L’effet Matthieu, un phénomène bien documenté en sociologie des sciences, pourrait expliquer cette concentration des fonds de recherche. « Les scientifiques ou les établissements qui ont le plus de capital symbolique et de prestige en recevront encore plus, indépendamment de la qualité intrinsèque de tout ça », a analysé M. Larivière, qui est aussi titulaire de la Chaire UNESCO sur la science ouverte.
L’EDI monopolise les débats
Ces débats sur la langue se sont d’ailleurs invités dans un contexte où les critères EDI font eux aussi l’objet de vives discussions. Tout au long des réunions tenues par le Comité permanent de la science et de la recherche, les défenseurs du maintien de ces politiques dans l’écosystème de la recherche du Canada ont subi le feu croisé de leurs critiques, assez nombreux, qui plaident plutôt pour leur abolition pure et simple.
Les tenants de cette option soutiennent en substance qu’elles sapent la méritocratie en introduisant une idéologie politique au détriment de la quête objective de la vérité. « Le danger est que cette situation mine la confiance dans la science. Les contribuables doivent avoir l’assurance que leur argent est consacré à la meilleure science possible », a ainsi soutenu Steven Pinker, professeur d’origine canadienne à l’Université Harvard, qui a témoigné devant le Comité.
Les partisans des critères EDI ont pour leur part insisté sur leur pertinence afin de favoriser l’originalité, donc l’innovation en recherche. La professeure à l’Université métropolitaine de Toronto Imogen Coe a par exemple cité les résultats d’une étude affirmant que « les équipes diversifiées sont plus innovantes et ont une productivité et un impact de 7 % plus élevés que les équipes homogènes ».
Le Comité permanent de la science et de la recherche devra faire rapport des conclusions de ses travaux à la Chambre des communes dans les prochains mois. Reste à voir si la diversité linguistique, souvent absente des politiques d’EDI, fera partie des priorités du gouvernement lorsqu’il donnera suite à ces recommandations.
Postes vedettes
- Sociologie - Professeure ou professeur (méthodologie quantitative)Université Laval
- l'École d'architecture Peter Guo-hua Fu - Professeure adjointe ou professeur adjoint (menant à la titularisation)Mcgill University
- Sciences de la terre et de l'environnement - Professeure adjointe ou professeur adjoint (hydrogéologie ou hydrologie)Université d'Ottawa
- Sociologie - Professeure adjointe ou professeur adjoint (féminismes, genres et sexualités dans les mondes noirs, africains et caribéens)Université de Montréal
- Aménagement - Professeure adjointe / agrégée ou professeur adjoint / agrégé (design d’intérieur)Université de Montréal
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