Les coûts complexes des réformes des politiques migratoires sur les étudiantes et étudiants internationaux au Québec

Autrefois panacée, les étudiantes et étudiants étrangers sont désormais vus comme un problème.

Photo par : Vladimir Vladimirov

Au cours des dernières années, les politiques d’immigration au Canada ont causé bien de la confusion et de la précarité pour les étudiantes et étudiants internationaux, particulièrement au Québec. La saga a eu d’importantes répercussions sur la réputation de la province et du pays comme destinations d’études, de même que sur le secteur de l’enseignement supérieur en général. Malheureusement, l’interaction entre les politiques fédérales et provinciales à cet égard est mal comprise – et ses coûts sont de plus en plus obscurs.

La croissance de la résidence temporaire au Canada et au Québec 

Les étudiantes et étudiants internationaux et leur famille ont contribué pour beaucoup à la récente croissance fulgurante de la population canadienne, la plus importante depuis 1957. Le gouvernement fédéral en a donc fait une cible privilégiée dans ses efforts pour limiter l’obtention de la résidence temporaire. Cette année, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a imposé une limite au nombre de permis d’études octroyés, augmenté les exigences relatives au coût de la vie et restreint l’accès au permis de travail postdiplôme et ouvert aux conjointes et conjoints. Autrefois immigrantes et immigrants « idéaux » et prisés, les étudiantes et étudiants internationaux se voient désormais triés sur le volet; depuis 2024, peu peuvent entrer au pays et y rester. 

La situation est encore plus complexe au Québec. La province a elle aussi connu une croissance démographique historique – quoiqu’inférieure à celle du du Canada – en 2022 et 2023. Mais depuis l’élection de la Coalition Avenir Québec (CAQ) en 2018, l’immigration y est plus politisée que jamais. En effet, le gouvernement caquiste n’hésite pas à présenter l’immigration comme une menace pour l’identité et la langue québécoises, tout en affirmant paradoxalement que le contrôle des seuils et la sélection des profils représentent une solution potentielle. Parmi les politiques migratoires adoptées pour contrer cette apparente menace existentielle, beaucoup ont ciblé les étudiantes et étudiants internatioanux. 

Les particularités du modèle de gouvernance de la mobilité étudiante au Québec  

L’immigration est depuis longtemps une responsabilité partagée des gouvernements provinciaux et fédéral du Canada. En raison de l’Accord Canada-Québec négocié en 1991, la province a toutefois davantage de pouvoirs que les autres en la matière : elle peut établir ses propres seuils d’immigration et critères de sélection. Ainsi, toutes les demandes de résidence permanente dans la catégorie économique devront d’abord être acceptées au provincial avant de pouvoir être présentées au fédéral. Le Québec exerce également un certain pouvoir sur une part notable des permis de résidence temporaire, notamment les étudiantes et étudiants étrangers.  

Par conséquent, les personnes qui souhaitent y étudier doivent d’abord être acceptées par la province avant de présenter une demande au gouvernement fédéral. De la même manière, celles et ceux qui souhaitent demeurer dans la province après l’obtention du diplôme doivent passer ces deux étapes. Beaucoup profitent pour cela d’un programme de résidence permanente accéléré réservé (volet Diplômés du Québec du Programme de l’expérience québécoise, ou PEQ). 

Portrait de la situation depuis l’arrivée au pouvoir de la CAQ 

Jusqu’à l’élection de la CAQ en 2018, le Canada et le Québec avaient des objectifs relativement similaires tant pour la résidence temporaire que permanente. Ce n’est plus le cas. Pour le gouvernement québécois, les étudiantes et étudiants internationaux représentent désormais à la fois une menace et une solution au « déclin du français » – tout comme les autres catégories d’immigration temporaire. C’est toutefois ce groupe que les politiques contradictoires de la CAQ ciblent le plus.  

Afin de réduire les seuils d’immigration permanente alors que les demandes au volet Diplômés du PEQ ne cessaient d’augmenter, le gouvernement caquiste a resserré les critères de sélection du programme en 2019 et 2020, rendant le processus plus long et complexe. Puis, en 2023, la CAQ est revenue sans préavis à ses anciens critères de sélection – en y ajoutant toutefois une condition supplémentaire : l’obligation d’étudier dans un établissement francophone. Ces volte-face reflètent un manque de préparation et d’une indécision évidente quant à la gestion d’une population étudiante étrangère croissante, dont une bonne partie souhaite demeurer au Québec après l’obtention du diplôme. 

A l’origine, ces réformes ne visaient pas explicitement à réduire le nombre d’étudiantes et étudiants internationaux au Québec – même si elles ont pu avoir cet effet en pratique. L’objectif était strictement de leur restreindre l’accès à la résidence permanente. Récemment, toutefois, avec l’essor de ce groupe de population, le lien entre immigration temporaire et permanente est devenu plus explicite. En octobre 2024, le gouvernement québécois a présenté un projet de loi pour limiter la venue d’étudiantes et étudiants étrangers; le mois suivant, la province suspendait le volet Diplômés du PEQ. 

Répercussions sur les étudiantes et étudiants étrangers au Québec 

La succession des réformes provinciales a entraîné une instabilité et une incertitude pour les personnes étrangères qui étudient ou souhaitent étudier au Québec. Elle a également un effet disproportionné sur certains établissements, notamment les établissements anglophones, que Québec a récemment ciblés pour « protéger la langue française ». Mais ce n’est pas tout : la situation est compliquée par les politiques fédérales visant les étudiantes et étudiants internationaux, comme le plafond des permis d’études et ses restrictions connexes. Ce groupe de population est donc appelé à diminuer au Québec comme au Canada. 

Pour les personnes qui étudient actuellement au Québec, les changements aux deux paliers de gouvernement risquent de produire de la précarité. L’augmentation des exigences de capacité financière complique les renouvellements de permis d’études, et le durcissement des critères d’admission pour les permis de travail postdiplômes et ouverts aux partenaires pourrait entraîner dans plusieurs cas la perte du statut de résidence au Canada. Dans ce contexte, les personnes qui souhaitent s’établir dans la province et obtenir la résidence permanente après leurs études pourraient avoir de la difficulté à maintenir leur statut temporaire durant le processus de demande. Il ne serait donc pas surprenant que les étudiantes et étudiants internationaux parlant français décident d’immigrer dans une autre province, où la résidence permanente est activement facilitée pour les francophones.  

Les personnes qui envisageaient d’étudier au Québec pourraient également considérer cette destination trop imprévisible, et donc risquée. Les francophones de l’étranger risquent de se tourner vers d’autres provinces qui, conformément à ce que souhaite le fédéral, s’emploient activement à les attirer. Cela suppose toutefois qu’ils et elles arrivent à distinguer cet appel des mesures générales prises par le Canada et le Québec à l’encontre des étudiants et étudiantes internationaux.

De solution à problème 

Jusqu’à récemment vus comme la solution à de nombreux problèmes (notamment la pénurie de main-d’œuvre), les étudiantes et étudiants internationaux sont désormais considérés comme un problème. Les deux gouvernements ne semblent pas sûrs de comment considérer cette catégorie de personnes migrantes, passée en peu de temps d’idéale à douteuse.  Cette hésitation est à l’origine de politiques contradictoires et indécises qui réduisent les étudiants et étudiantes internationaux à des pions déplacés au gré des régulations selon les besoins changeants des deux paliers de gouvernement.

Il est difficile de prévoir comment les francophones de l’étranger qui étudient ou souhaitent étudier au Québec réagiront à ces politiques sur le long terme. Une chose est certaine cependant, elles auront un coût humain – non seulement parce qu’elle rendent le paysage politique complexe à déchiffrer, mais également parce qu’elle produisent de la précarité et des sentiments de trahison et d’exclusion chez celles et ceux qui ont « joué le jeu » pour rien.

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