Pas de répit pour les chercheurs canadiens

Ils doivent promouvoir sans relâche leurs intérêts pour que la promesse de l’examen du soutien fédéral aux sciences soit respectée, selon David Naylor.

03 juin 2019

Deux ans après avoir sonné l’alarme face au fléchissement des investissements en recherche-développement (R.-D.) au Canada dans le cadre de l’examen du soutien fédéral aux sciences, l’homme dont le nom a été associé au rapport souligne qu’il faudrait intensifier les efforts pour s’assurer que les changements que lui et ses collègues ont définis comme urgents aient réellement lieu.

« Les chercheurs doivent promouvoir sans relâche leurs intérêts », déclare David Naylor, professeur de médecine de l’Université de Toronto, qui présidait le comité consultatif de neuf membres sur le soutien fédéral à la science fondamentale à l’origine du rapport publié en 2017. « On a beau dire que la recherche s’inscrit dans l’ADN de la société et du gouvernement canadiens, mais les chercheurs doivent faire preuve d’une détermination, d’une résilience et d’une persistance extraordinaires, au sein du gouvernement comme à l’extérieur, pour démontrer l’utilité de leur travail. »

Au début de mai, M. Naylor a pris la parole à Ottawa dans le cadre d’un rassemblement du Consortium canadien pour la recherche, un groupe de coordination national composé de 20 organisations représentant 50 000 chercheurs et 650 000 étudiants. Le sommet de deux jours avait pour but d’examiner de nouvelles orientations pour le milieu de la recherche canadien, ce qui comprenait des mesures pour revitaliser le milieu universitaire. Il visait aussi à repenser l’évaluation du rendement universitaire et à évaluer les perspectives pour la nouvelle génération d’étudiants aux cycles supérieurs, qui pourraient être amenés à faire carrière à l’extérieur des établissements postsecondaires.

Dr. Naylor. Photo de Caz Zyvatkauskas/University of Toronto magazine.

Le discours de M. Naylor ratissait toutefois plus large. « Des milliers de personnes meurent de la rubéole à cause d’une épidémie d’ignorance, dit-il. Les idées antiscience et antirecherche se répandent comme la peste. L’avenir du pays tout entier, soit celui du secteur public, du secteur privé et de la société civile, repose sur la recherche. C’est une question de compétences, pas de technologie. C’est une question de ressources humaines, pas de brevets. Il faut doter les jeunes de capacités essentielles qui n’ont rien à voir avec la commercialisation. »

Se fondant sur les données de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) citées dans le rapport, M. Naylor a critiqué la façon dont le Canada vend sa propre performance en R.-D. Ses dépenses brutes en recherche-développement en pourcentage de son produit intérieur brut sont bien inférieures à la moyenne de l’OCDE et sont en baisse relativement à celles d’autres pays qui, eux, accroissent leurs investissements. Le Canada se distingue seulement pour ses dépenses intérieures brutes de R.-D. dans le domaine de l’enseignement supérieur (DIRDES) – une valeur isolée qui, selon M. Naylor, est utilisée à tort pour représenter l’ensemble des investissements canadiens dans le milieu.

« Les politiciens aiment se vanter d’avoir les DIRDES les plus élevées du G7, souligne-t-il. Or, c’est un leurre intellectuel. L’affirmation est vraie, mais elle induit en erreur de manière grotesque, délibérée et effrontée. »

M. Naylor se montre tout aussi critique à l’égard de la création, l’an dernier, du Comité de coordination de la recherche au Canada, bien qu’elle donne suite à l’une des recommandations issues de l’examen du soutien fédéral aux sciences. Le Comité a reçu « pas mal tous les mandats que nous avions demandés, reconnaît-il. Que manque-t-il? Une petite chose qui a beaucoup d’importance. Nous avions demandé que le groupe de coordination des quatre organismes compte des membres externes, des personnes qui sont aux premières lignes de la recherche ». Le nouveau comité est plutôt mené par les dirigeants des quatre organismes, une décision administrative qu’il interprète comme un manque de volonté de la part du gouvernement de considérer les perspectives sur la recherche qui sortent des sentiers battus.

Le professeur Naylor dit avoir observé un désir semblable de la part du gouvernement d’écarter les recommandations visant à orienter les politiques, comme le démontre la création d’organismes consultatifs auxquels il semble manquer cette fonction décisive. L’un d’eux, le Conseil des académies canadiennes, créé en 2005, « a reçu le mandat de ne pas donner de conseils, dénonce-t-il. Il décrit les faits et les répercussions, mais ne se prononce en rien sur les politiques ».

L’examen du soutien fédéral aux sciences a apparemment franchi cette limite, ajoute-t-il. C’est pourquoi ses 35 recommandations ont engendré peu de réponses officielles. « Somme toute, dit-il, le gouvernement semble vraiment vouloir que le rapport tombe dans l’oubli afin de pouvoir continuer de faire les choses à sa manière. »

Les participants au sommet ont ensuite discuté de la façon dont les changements dans l’administration des universités pourraient contrecarrer les pressions sociales et politiques contre l’intellectualisme en réaffirmant la valeur du savoir. Ils se sont aussi penchés sur la manière dont les établissements pourraient mieux reconnaître et récompenser l’enseignement comme premier vecteur de communication de cette valeur, tout en reconnaissant les aspirations des étudiants aux cycles supérieurs qui souhaitent mettre leurs connaissances en application hors du milieu universitaire. Les anciens doctorants ont d’ailleurs raconté comment leurs superviseurs et collègues rejetaient cette idée comme s’il s’agissait d’un abandon de la recherche – signe qu’il est nécessaire d’élargir les perspectives sur l’objectif de la recherche.

M. Naylor en convient et attire par le fait même l’attention sur le tout dernier paragraphe du rapport sur l’examen du soutien fédéral aux sciences qui insiste sur le fait que le financement de la recherche peut apporter des améliorations majeures et immédiates à la vie des Canadiens de tous les horizons. « Je persiste et signe », déclare-t-il.

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